Lena Bjurström, 24/06/2014
Créé en 1984, le titre de séjour de dix ans n’est presque plus accordé. À l’heure où le gouvernement prépare une loi sur l’immigration, 157 associations plaident pour sa revalorisation.
Le 17 juillet 1984, le parlement adoptait la loi instaurant une carte de résident de dix ans, une avancée majeure dans l’histoire du droit à l’intégration. Trente ans après, de loi en loi, l’accès à ce titre de séjour est devenu marginal, une régularisation plus courte et précaire lui étant préférée.
La part des étrangers en possession d’une carte de résident (hors Européens et Algériens, dont le séjour est régulé par des accords bilatéraux) est passée de 84,1% en 1998 à 64,7% en 2013 1.
Aujourd’hui, plus de 45% des étrangers en situation régulière vivent donc avec un titre de séjour de courte échéance, un an généralement, ce qui entrave leurs démarches pour trouver un emploi stable, ou un logement. Et chaque année, à l’heure du renouvellement, plane la menace de se voir refuser une nouvelle carte de séjour, et de rejoindre les rangs des sans-papiers.
Alors que le gouvernement planche sur un nouveau projet de loi sur l’immigration, la Cimade, le Gisti et 155 autres associations lancent un appel pour un retour à la carte de résident de dix ans.
«Les personnes immigrées faisaient partie intégrante de la société française.»
Que le gouvernement ne se cherche pas d’excuses, le contexte politique de 1984 n’était pas plus favorable à l’immigration que celui d’aujourd’hui. «Le chômage de masse sévissait déjà, le Front national était une force politique montante et l’inquiétude quant à l’avenir n’était pas moindre» , rappellent les associations, réunies en conférence de presse ce mardi, dans les locaux de la Cimade à Paris. Et il a fallu de nombreuses années de mobilisation, pour que la promesse de création de cette carte de résident soit accordée du bout des lèvres par François Mitterrand aux militants de la Marche pour l’égalité.
Le 17 juillet 1984, la loi est votée à l’unanimité par le parlement. Une avancée tant politique que symbolique, rappellent les associations : «Elle traduisait en actes le message que le gouvernement voulait faire passer à l’opinion comme à la population étrangère : les personnes immigrées […] faisaient partie intégrante de la société française.» Une philosophie qui semble aujourd’hui lointaine.
Détricotage en règle
De la loi Pasqua en 1993 aux réformes du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) de Nicolas Sarkozy, en 2003 et en 2006, le dispositif a été tranquillement détricoté, restreignant peu à peu l’accès au titre de séjour de dix ans.
«A l’époque, on pouvait obtenir automatiquement cette carte au bout de cinq années de résidence, et on pouvait la demander au bout de trois, rappelle Antoine Math, chercheur à l’Institut de recherches économiques et sociales (Ires), Aujourd’hui, il n’y a plus rien d’automatique, et si l’on peut théoriquement en faire la demande au bout de cinq ans, il faut souvent attendre sept ans.»
Sous la houlette de Nicolas Sarkozy, les conditions limitant l’accès à la carte de résident se sont multipliées, certaines étant laissées à l’interprétation des préfectures. Les «moyens d’existence suffisants» , «l’intégration républicaine» , la «connaissance suffisante» de la langue française… «En empilant des critères flous, on laisse la place à l’arbitraire de l’administration» , dénonce Geneviève Jacques, présidente de la Cimade.
En trente ans, la délivrance de cartes de résident de dix ans s’est réduite jusqu’à atteindre 9,2% des titres de séjour accordés en 20132. Sont aujourd’hui privilégié les régularisations d’un an, «précaires» , participant d’un «cercle vicieux qui désintègre» , critique Stéphane Maugendre, président du Gisti.
«Comment voulez-vous obtenir un CDI, signer un bail, demander un prêt, avec un titre de séjour d’un an ? Dès lors, comment réunir les conditions de revenus et d’intégrations jugées nécessaires par les préfectures pour obtenir une carte de résident ? C’est sans fin !»
S’indignant de la précarité ainsi imposée aux étrangers, il lance aux journalistes présents : «Imaginez-vous vivre avec une carte d’identité d’un an ! Pensez à toutes les contraintes que ça créerait dans vos vies quotidiennes.»
«La carte de résident est aujourd’hui pensée comme une “récompense“ à l’intégration. Nous maintenons qu’au contraire, elle est une condition de l’intégration, qui ne peut se faire sans stabilité et sécurité» , tranche Geneviève Jacques, présidente de la Cimade.
Et pour elle, «l’ère du soupçon et de la méfiance vis-à-vis des immigrés », devenue «caractéristique» du mandat de Nicolas Sarkozy, semble se poursuivre aujourd’hui.
Un nouveau titre de séjour
En effet, les espoirs des associations, lors de l’élection d’un gouvernement de gauche, ont vite été douchés par la politique du ministère de l’Intérieur. Et le projet de loi en préparation n’augure, pour elles, rien de bon.
Le texte final devrait être présenté en conseil des ministres entre la fin-juin et le début du mois de juillet. En attendant, l’avant-projet de loi ne prévoit pas de revenir au titre de séjour de dix ans. Il propose en revanche une «carte de séjour pluriannuelle» d’un maximum de quatre ans.
A l’heure où la régularisation d’un an est la règle, l’initiative ne semblerait pas si mauvaise aux associations si elle n’était pas immédiatement limitée. Le texte précise en effet que «cette carte de séjour valable plus longtemps ne constitue toutefois pas un “blanc-seing“» . «L’étranger devra continuer à justifier qu’il remplit les conditions pour en bénéficier. La préfecture pourra, à tout instant, le convoquer pour un examen approfondi de situation.»
«Là encore, il n’y a pas de changement dans la généralisation du soupçon, remarque Geneviève Jacques, l’examen de la « situation » est toujours laissé à la discrétion de la préfecture, et l’étranger reste dans l’insécurité de se voir retirer son titre de séjour.»
Pour les associations, cette réforme, loin de stabiliser la situation des immigrés, créera «un titre instable soumis au contrôle permanent du pouvoir administratif» . Et cette nouvelle carte pourrait bien repousser la carte de résident, «seule à permettre la sécurité du séjour» , dans les limbes administratives, la rendant toujours plus marginale.