Contre la double peine, colère des jeunes des cités
Dans la salle confinée d’un cinéma parisien, tous écoutent le réalisateur Bertrand Tavernier venu présenter son dernier film. Histoires de vies brisées, poignant documentaire, raconte l’histoire de dix grévistes de la faim, victimes de la double peine à Lyon en 1998.
Ambiance studieuse.
Quinze associations ont invité le cinéaste à inaugurer leur campagne contre ta double peine, une pratique du bannissement : l’expulsion qui s’ajoute à la prison pour des délinquants étrangers. Cette pratique aurait touché 17 000 personnes depuis vingt ans en France. Soudain, du fond de la salle gronde une rumeur inattendue, vite mise en voix par Azouz, membre du MIB (Mouvement de l’immigration et des banlieues), tonitruant porte-parole d’une colère gonflée par des années de lutte ignorée. « Le droit des étrangers est issu dune lecture policière et néocoloniale du fait migratoire. Le combat contre la double peine est une cause politique et non pas une affaire humanitaire. ”
Silence gêné. Michel Tubiana, président de la Ligue des droits de l’Homme, se lève, visiblement exaspéré par cette prise de parole intempestive. Y aurait-t-il plusieurs luttes contre la double peine ? Imperturbable, Azouz poursuit, raide et sec. S’emporte et fait gémir son micro tant il martèle fort.
Laid, Algérien de 23 ans qui vit à Sarcelles depuis l’âge de 5 ans, tout juste sorti de la prison de la Santé, est à cet instant précis sur le point de se faire expulser vers son pays d’origine. Trois jours que le MIB manifeste en vain. Le nom de Laid résonne dans la salle, suivi de ceux d’Abdelkrim des Mureaux, de Malik de Fontenay-sous-Bois, de Mohamed de Neuilly-sur-Marne. Soudain, la campagne militante contre la double peine prend un autre visage, et devient le portrait à vif d’une jeunesse des cités meurtrie par l’incapacité de l’État français à s’adresser à elle. « Depuis trois, quatre ans, on assiste à un rajeunissement des personnes touchées par la double peine. ” Le lendemain, depuis la permanence d’une association municipale à Sarcelles, Saadia Sahali, du MIB, s’inquiète. « A Sarcelles, ils sont de plus en plus jeunes, entre 20 et 25 ans, pour beaucoup de nouveaux cas, poursuit-elle. Ce rajeunissement des « double peine » est lié au rajeunissement de la délinquance, elle-même liée à des phénomènes de déscolarisation, de problèmes familiaux, au taux de chômage des jeunes d ‘origine maghrébine. .. En France, aujourd’hui, 200 000 mineurs sont engagés dans une procédure judiciaire. Résultat : pour des gamins de 18 ans condamnés à une première peine de deux, trois ans, c’est d’office l’expulsion à la fin de leur incarcération. ”
Un avis partagé par Stéphane Maugendre, avocat et membre du Gisti (Groupe d’information et.de soutien des immigrés) et auteur il y a quelques années du premier article de droit consacré à l’interdiction du territoire fiançais (ITF) « Depuis 1994 et le nouveau code pénal, l’interdiction du territoire français concerne plus de 270 délits ».