Jugé pour avoir aidé des réfugiés : « C’est un véritable procès politique »

AFP/ Valérie Hache
Huit mois de prison avec sursis ont été requis contre Cédric Herrou, agriculteur de la vallée de la Roya, jugé ce mercredi à Nice pour avoir aidé des réfugiés. L’analyse de l’avocat spécialisé en droit des étrangers et ex-président du Gisti Stéphane Maugendre.

 

 Celine Rastello

« Si on est obligé de se mettre en infraction pour soutenir les gens, allons-y ! », s’est exclamé Cédric Herrou, ce mercredi 4 janvier.

Comme d’autres habitants de la vallée de la Roya, dans les Alpes-Maritimes, le jeune agriculteur vient en aide aux réfugiés. Déjà inquiété par la justice en août 2015 pour avoir transporté certains d’entre eux – le parquet avait ensuite classé l’affaire sans suite –, il est cette fois poursuivi pour aide à l’entrée, à la circulation et au séjour de personnes en situation irrégulière, et occupation illicite de propriété privée. Huit mois de prison avec sursis ont été requis à son encontre.

Fin novembre, six mois de prison ont été requis, à Nice toujours, à l’encontre d’un enseignant-chercheur poursuivi, lui aussi, pour avoir convoyé des réfugiés venus d’Italie.

Qu’en pense l’avocat spécialisé en droit des étrangers, et ancien président du Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés) Stéphane Maugendre ? « L’Obs » l’a questionné.

Qu’a réellement changé la loi du 31 décembre 2012 en matière d’aide aux étrangers ? Le délit de solidarité n’a-t-il pas été abrogé ?

Le délit de solidarité est extrêmement large. Le fait de donner un euro à quelqu’un faisant une quête pour les sans-papiers a été punissable ! Son abrogation est une vieille histoire. Cela fait des années qu’elle est demandée : sous Chevènement, sous Sarkozy. Sans compter l’affaire Besson, en 2009, quand le ministre avait affirmé que jamais « personne en France n’avait été condamné pour avoir seulement accueilli, accompagné ou hébergé un étranger en situation irrégulière ». Le Gisti avait démontré que c’était faux. La loi de 2012 est venue juste un peu amoindrir le délit, mais il existe toujours.

Qu’est-ce qui a changé ?

Le fait qu’il soit précisé que l’aide doit être apportée « sans contrepartie directe ou indirecte ». Et elle doit concerner des conseils juridiques, de la restauration, un hébergement, des soins médicaux destinés à assurer des conditions de vie digne et décentes à l’étranger, ou bien tout autre aide visant à préserver sa dignité ou son intégrité physique.

Cela dit, dans une affaire que nous avons suivie à Perpignan, les policiers ont dit à la personne : « Etes-vous sûr que la personne que vous aidez ne vous aide même pas un peu au ménage ? » Ça aurait pu être considéré comme une contrepartie. Donc bon… C’est une « immunité humanitaire » qui ne couvre que le séjour.

Cédric Herrou, lui, est justement poursuivi notamment pour aide à l’entrée, à la circulation et au séjour de personnes en situation irrégulière.

Ce délit a toujours existé et existe toujours. On oublie souvent, par ailleurs, qu’avant d’arriver au procès, la personne poursuivie a d’abord été interpellée, menottée, placée en garde à vue, que des perquisitions ont pu être menées. Bref, tout le processus policier qui est tout de même relativement traumatisant !

L’homme jugé aujourd’hui à Nice est poursuivi pour ces infractions. Mais quand les personnes qui aident ne sont pas poursuivies pour cela, on peut trouver un autre motif. Certaines sont poursuivies, par exemple, pour faux et usages et faux car ils font des attestations d’hébergement pour des personnes en situation irrégulière.

Selon le procureur de Nice, Jean-Michel Prêtre, interrogé par « La Croix« , la démarche de Cédric Herrou ne relève pas de l’humanitaire.

Je ne connais pas le dossier, mais il est poursuivi car il circule avec des réfugiés. Il est en quelque sorte poursuivi comme s’il était un trafiquant.

Quel regard portez-vous sur ce procès ?

Je trouve simplement un peu scandaleux qu’on poursuive cet homme alors qu’il y a de véritables carences autant de l’Etat français que de l’Europe en matière d’accueil des réfugiés. Sans parler des mineurs…

Cédric Herrou insiste notamment sur ce point : les mineurs qui devraient être pris en charge par l’Etat et ne le sont pas.

Il a raison ! C’est comme si on avait bien vite oublié la photo du petit Aylan sur la plage. C’est aussi des gens comme cela qu’il tente de sauver !

La loi est on ne peut plus claire : un enfant est avant tout un enfant, pas un « étranger enfant ».

L’obligation d’un Etat comme la France -les conventions internationales l’obligent également-, est de considérer un mineur avant tout comme tel, indépendamment de sa couleur de peau, sa nationalité, son lieu de naissance… Concernant les mineurs, la carence de l’Etat français est d’autant plus flagrante. On les laisse dans des situations où ils sont véritablement en danger, pas soignés, pas suivis, pas logés.

Que faire ?

Abroger purement, simplement et réellement ce délit de solidarité. L’effet d’annonce de 2012 sur le délit de solidarité quand Manuel Valls était ministre de l’Intérieur est identique à celui sur l’abrogation de la double peine quand Nicolas Sarkozy était au même poste. Ça n’a pas été aboli, ça existe toujours.

Quelle est, le plus souvent, l’issue des procédures ?

Un certain nombre de personnes sont reconnues coupables, dispensées de peine ou condamnées à payer des amendes avec sursis. Mais peu importe.

L’effet sur la population est là, le message passe : « Attention à ce que vous faites ! »

Le choix des poursuites est politique. Ce n’est pas un hasard si elles ont lieu dans le nord ou dans le sud, dans des lieux où un certain nombre de personnes se mobilisent pour aider les réfugiés et où des élus locaux disent « ça fait des appels d’air, il faut les poursuivre. » Si Eric Ciotti [président du conseil départemental des Alpes-Maritimes, NDLR] dénonce régulièrement des gens de la Roya, ce n’est pas pour rien. Il y a une indéniable pression. Le procès de cet homme, aujourd’hui à Nice, est un véritable procès politique. On juge l’action, humanitaire cette fois, d’un certain nombre de gens engagés auprès des réfugiés.

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