Elsa Guiol (avec Stéphane Joahny), 16/12/2007
Autant dire que Brice Hortefeux, ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Codéveloppement, est attendu au tournant. Avant même son intervention, mardi à l’Assemblée, les critiques fusent et la riposte s’organise. Le gouvernement doit présenter une nouvelle loi sur « la maîtrise de l’immigration, l’intégration et l’asile ». Ce texte déjà très controversé vise principalement à restreindre l’immigration familiale, et plus particulièrement le regroupement familial. Nicolas Sarkozy en avait fait une promesse de campagne et compte sur son ministre pour venir à bout de son projet, moins d’un an après le vote de la dernière loi sur l’immigration.
« L’immigration familiale, principal vecteur de l’immigration en France »
Pour le ministère, le constat est simple : « Avec 94.500 titres de séjour délivrés en 2005, l’immigration familiale reste le principal vecteur de l’immigration en France, loin devant les flux d’étudiants (48.900 titres) ou de travailleurs (13.650 titres). » Le regroupement familial strictement a concerné près de 23.000 étrangers, ce qui correspond à 11 % de la totalité des titres de séjour accordés en 2005. Plusieurs nouvelles dis¬positions visent à enrayer le phénomène : contrôle préalable de la connaissance de la langue française et des va¬leurs de la République, obligation de retourner dans le pays d’origine pour dé¬poser une demande de carte de séjour, augmentation du niveau de ressources nécessaires (jusqu’à 1,2 fois le smic, selon la taille de la famille), obligation de signer un « contrat d’accueil et d’intégration », suspension ou mise sous tu¬telle des allocations familiales en cas de rupture de ce contrat…
Depuis 2003, c’est le quatrième texte de loi sur ce thème présenté à l’Assemblée nationale. La procédure liée au regroupement familial, elle, a déjà été modifiée par deux lois, deux décrets, trois circulaires et un arrêté. « Notre objectif est d’aboutir à un équilibre entre l’immigration économique et familiale », insiste-t-on au ministère, où on n’oublie pas non plus l’objectif d’expulsions : 25.000 avant la fin de l’année. Le ministre ne s’est pas gêné pour le rappeler mercredi aux préfets, en convoquant vingt d’entre eux dans son bureau.
Dans ce climat tendu, les associations de défense des immigrés haussent le ton. Pour le collectif Uni(e) contre une immigration jetable (Ucij, qui regroupe une centaine d’associations) : « Cette diarrhée législative, alors que les précédentes lois n’ont pas été mises complète¬ment en œuvre, conduit à se poser la question des motivations réelles du gouvernement, la répétition des réformes ne vise-t-elle pas davantage à flatter les réflexes racistes et xénophobes dans la population? » Pour la Cimade: « L’impossibilité de suivre une formation dans le pays d’origine en raison du coût et/ou des distances entraînera des refus de délivrance de visa. Mais il est illusoire de penser que les personnes accepteront une séparation familiale. » Plusieurs as-sociations rappellent un précédent : « En 2003, puis en 2006, l’augmentation du ni-veau de ressources exigible avait déjà été proposée à l’Assemblée nationale mais deux fois rejetée par le Sénat », qui avait jugé la proposition discriminatoire. Un rassemblement est prévu à 18 heures mardi devant l’Assemblée nationale.
Dans la classe politique comme chez les experts, le débat fait rage. Pour Faouzi Lamdaoui, secrétaire national du Parti socialiste en charge notamment des questions d’immigration, le projet constitue un choix « politiquement condamnable et juridiquement contestable » qui va à l’encontre de l’objectif affiché : l’intégration des populations immigrées. « On durcit les conditions du regroupement familial alors que c’est justement un vecteur d’intégration. » A l’inverse, la démographe Michèle Tribalat estime que le texte va dans le sens de l’Histoire: « La plupart des pays européens cherchent à réduire la part familiale de l’immigration en provenance des pays tiers. »
« Onze pays européens ont déjà adopté cette pratique »
L’adoption par la commission des lois de plusieurs amendements suscite encore davantage la polémique. L’un lèverait l’interdiction de recueillir des données relatives à l’origine raciale ou ethnique dans le cadre d’études sur « la mesure de la diversité des origines des personnes, de la discrimination et de l’intégration ». Une proposition d’emblée condamnée par SOS-Racisme. Un autre, déposé par Thierry Mariani (UMP), autorise un demandeur du regroupement familial à avoir recours aux tests ADN pour prouver son lien de filiation. Pour justifier sa proposition, le député du Vaucluse répète que « onze pays européens ont déjà adopté cette pratique. Et il n’est de toute façon pas question de conserver les échantillons ».
Cette proposition a provoqué un tollé. L’opposition et les associations émettent des doutes sur la possibilité de réaliser ce type de tests dans les pays d’origine, et s’inquiètent du sort réservé aux enfants adoptés ou recueillis. « Cet loi ne doit pas être votée, martèle Me Stéphane Maugendre, avocat spécialiste du droit des immigrés. C’est le dernier coup de vis avant l’interdiction totale du regroupement familial. » Il n’est pas le seul à le penser. La séance de mardi à l’Assemblée nationale risque d’être agitée.