«NON À UNE juridiction d’exception sur l’aéroport de Roissy ! » : « Projets Sarkozy, atteintes à la justice »… A quelques jours de l’examen en première lecture du projet de loi Sarkozy sur l’immigration, loi qui doit être adoptée le 11 juin par la commission des lois de l’Assemblée nationale, la grogne s’intensifie au tribunal
de Bobigny.
Objet de cette « fronde » qui unit magistrats du TGI et avocats du barreau de Seine-Saint-Denis depuis plusieurs semaines sous forme de lettres ouvertes, tribunes, pétitions et motions : la délocalisation des audiences des étrangers à Roissy-Charles-de-Gaulle, prévue par l’article
34 dudit projet. Une vieille polémique
L’idée de faire statuer les juges sur le maintien ou non en rétention des étrangers en situation irrégulière au plus près des lieux de leur arrivée – c’est-à-dire des zones d’attente portuaires et aéroportuaires – est une vieille revendication des ministres de l’Intérieur et un vieux sujet de discorde avec leurs homologues de la Justice.
Le TGI de Bobigny est le premier concerné, puisque Roissy, principal point d’arrivée de migrants en France, dépend de sa zone de compétence (95 % des étrangers concernés par les procédures dites du « 35 quater »). En 2002, ses juges ont ainsi statué sur le sort de plus de 12 000 étrangers (un flux en augmentation constante depuis trois ans), transportés quotidiennement entre l’aéroport et le tribunal par des escortes de la PAF. Il y a deux ans, une nouvelle étape avait été franchie par l’Intérieur, avec l’aménagement, malgré une première levée de boucliers, d’une salle d’audience au cœur d’une des zones d’attente de Roissy (Zapi 3). Fin prêt depuis un an, l’endroit est resté vide. Dominique Perben lui-même s’opposait à son utilisation. Mais un arbitrage de Matignon a tranché en faveur de Nicolas Sarkozy. Rédigé sur mesure, l’article 34 de son projet, s’il est adopté, forcera les magistrats à s’incliner. « Le juge des libertés et de la détention statue au siège du tribunal de grande instance, dit le texte. Toutefois, si une salle d’audience lui permettant de statuer publiquement a été spécialement aménagée sur l’emprise ferroviaire, portuaire ou aéroportuaire, ll statue dans cette salle. » Du côté des policiers, on attend avec impatienceque la loi soit votée. « C’est une question d’efficience et de bon emploi des effectifs », souligne Jean-Yves Topin, directeur de la PAF de Roissy, qui rappelle que 30 à 60 de ses fonctionnaires ont chaque jour affectés aux transferts. « Je défends une position pragmatique, y compris quant au confort des étrangers non admis », insiste-t-il. Les avocats sont très mobilisés
Du côté judiciaire, on multiplie les démarches contre une disposition jugée « contraire aux grands principes d’impartialité, d’égalité de traitement et de publicité des débats ». « Délocaliser ces audiences revient à placer un tribunal à l’intérieur d’une enceinte policière ! », s’insurge Brigitte Marsigny, bâtonnier de Seine-Saint-Denis, qui s’inquiète d’un amoindrissement des droits de la défense.
« Toute personne, citoyenne ou non de notre pays, a le droit d’être entendue dans une enceinte judiciaire normale », tempête Dominique Barella, de l’Union syndicale des magistrats (USM), qui souligne les difficultés d’accès à la salle de Zapi 3. « Les principes du droit ne peuvent s’effacer devant des arguments matériels », insiste Stéphane Maugendre, avocat de Bobigny et vice-président du Groupe d’information et de soutien des immigrés ( Gisti).
Soutenus par les associations de défense des droits des étrangers, magistrats et avocats espèrent encore que cet article 34 ne sera pas maintenu. Et vont jusqu’à promettre, s’il l’est, « d’utiliser tous les moyens de droit et de procédure pour que cette salle d’audience soit déclarée illégale ».