Jean-Baptiste François, 10/12/2013
Alors qu’un avocat est suspecté de complicité avec une filière d’immigration clandestine, les spécialistes du droit des étrangers mettent en avant des frontières déontologiques à ne pas dépasser.
De quels faits l’avocat mis en cause doit-il répondre ?
Le tribunal correctionnel de Bobigny a commencé, lundi 9 décembre, à entendre les acteurs présumés d’un réseau de passeurs de clandestins depuis le Maroc. Parmi eux, sept personnes : des petites mains, des fonctionnaires convaincus de corruption et… un avocat, Me André Mikano, qui risque au même titre que les autres dix années de prison.
L’avocat comparaît pour aide en bande organisée à l’entrée et au séjour irrégulier de sans-papiers arrivés entre 2007 et 2010 à l’aéroport de Roissy Charles-de-Gaulle. Ces étrangers, clients de la filière illégale, auraient bénéficié d’une sorte de « forfait » incluant dans les prestations les services juridiques.
En échange de plusieurs milliers d’euros, les clandestins prenaient des billets d’avion pour le Brésil, avec un changement à Paris. Une fois dans l’aéroport français, ils étaient guidés jusqu’à la sortie à l’aide de téléphones portables afin de ne pas se retrouver nez à nez avec la police aux frontières (PAF). En cas d’interpellation, c’est Me Mikano qui assurait systématiquement leur défense, selon l’accusation.
Ce n’est pas le premier démêlé de l’avocat avec la justice : il avait déjà passé un mois et demi en prison pour des faits similaires au printemps dernier.
Comment l’avocat peut-il savoir qu’il a affaire à un passeur ?
Stéphane Maugendre, président du Gisti et avocat au barreau de Bobigny, affirme qu’il y a deux écoles de défense distinctes. « Il y a ceux qui refusent catégoriquement d’être saisi par des intermédiaires qui semblent entretenir des liens extrêmement ténus avec les personnes à défendre. Et d’autres qui, au contraire, ne vont pas être très regardants », estime-t-il.
Ce spécialiste du droit des étrangers constate de telles pratiques qu’il condamne, mais dont l’illégalité est très difficile à établir. Pour lui, la limite déontologique est franchie dès lors que l’avocat conseille directement le passeur, mais pas l’étranger lui-même. « Cela peut consister à dire aux têtes de réseau de ne pas prendre les billets d’avions tel jour, parce qu’on sait qu’un magistrat coriace sera présent au tribunal, ou encore lui dire de se présenter avec tel ou tel document ».
Comment peut-on prouver qu’un avocat est de mèche avec un passeur ?
Le procureur et la police peuvent notamment se fonder sur la nature et la fréquence des échanges entre l’avocat et les passeurs pour prouver les faits. Dans le cas de Me Mikano, l’accusation avance que Me Mikano était « l’avocat attitré » du réseau de passeurs, pour lequel il œuvrait « sciemment ».
Ses honoraires étaient fixés « à l’avance » (1500 €), sans qu’il ne connaisse l’identité de ses clients. Mais pour le bâtonnier Robert Feyler, « On n’a pas entendu à ce jour d’élément véritablement probant » à charge contre Me Mikano, « excellent avocat, grand technicien », que la police aux frontières a « dans le nez ».
De son côté, l’avocat d’André Mikano, Me Jeffrey Schinazi, considère que « c’est le procès du statut de l’avocat ». Ce dernier appelle le tribunal à faire « la différence entre une filière et le filon » d’une clientèle faite d’étrangers qui recommandent tout simplement l’avocat pour son efficacité. Le procès devrait durer quatre jours.