Quand la critique d’une décision de justice dérange… faut-il museler ses auteurs ?
C’est la voie dans laquelle le procureur de la République de Paris semble vouloir s’engager en ouvrant une enquête préliminaire visant à établir si, en critiquant publiquement un arrêt de la Cour d’appel de Paris, la Ligue des droits de l’homme, le Gisti et le Syndicat de la magistrature ont « cherché à jeter le discrédit sur une décision juridictionnelle, dans des conditions de nature à porter atteinte à l’autorité de la justice ou à son indépendance » comme le prévoit l’article 434-25 du code pénal.
Si cette enquête devait aboutir à des poursuites, il reviendrait alors au tribunal correctionnel de dire si « l’autorité de la justice » a été atteinte par un communiqué de presse dénonçant la décision de la cour qui, pour refuser à un jeune étranger la protection due à tout enfant en situation de danger, a préféré se fier aux apparences plutôt que d’appliquer le code civil. Et qui, alors que ce jeune était titulaire de documents d’identité reconnus authentiques par le bureau de la fraude documentaire, l’a pourtant soumis à une expertise osseuse, pour finalement, l’expertise n’ayant pu avoir lieu, le déclarer majeur.
Faut-il comprendre que l’autorité de la justice serait brusquement devenue si fragile qu’elle doive menacer de poursuites les organisations qui, pour dénoncer les effets délétères de la défiance envers les étrangers, rappellent les exigences du droit ?
Nous mettons au crédit de la justice sa capacité à se nourrir de la critique, à y résister souvent, à s’en inspirer parfois ! Et à ne pas se réfugier dans le confort illusoire de la pénalisation des expressions qui la dérangent.
En assumant les désagréments que lui vaut la liberté, essentielle, de l’expression critique, la justice sortira grandie de l’impasse dans laquelle le procureur de la République la fourvoie.