Marguerite Salles, 25/06/2014
La Cimade s’inquiète, avec 156 autres associations, du projet de loi sur l’immigration, qui devrait être présenté mi-juillet en conseil des ministres par Bernard Cazeneuve. Dans une campagne lancée mardi 24 juin, l’organisation de solidarité avec les migrants et demandeurs d’asile en France, ainsi que d’autres structures comme la Ligue des droits de l’homme et le Secours catholique, dénoncent la création de titres de séjour pluriannuels et demandent que la carte de résident de dix ans redevienne la norme.
Annoncé en 2013 et préparé par Manuel Valls, à l’époque ministre de l’intérieur, le projet de loi propose notamment la mise en place d’un nouveau titre de séjour, « pluriannuel, valable quatre ans, délivré après un an de séjour régulier en France », comme l’écrivait le député PS Mathias Fekl dans son rapport au premier ministre de mai 2013, qui a inspiré le projet de loi.
La création de ce nouveau titre de séjour pluriannuel répond au constat partagé d’un accueil et d’une intégration des étrangers qui se sont dégradés depuis plusieurs années. Mais la Cimade considère qu’il n’apporte pas de solution efficace contre l’insécurité des ressortissants étrangers en France.
Le manifeste des associations, intitulé « Pour un titre de séjour unique, valable 10 ans, délivré de plein droit », rappelle les principes qui ont porté la loi de 1984, qui instaurait l’accès à une carte de résident permettant aux immigrés de s’intégrer visiblement. Celle-ci est toujours en vigueur aujourd’hui mais est considérée comme « détricotée » par les lois immigration successives de 1993, 2003 et 2006.
Ainsi, d’après les chiffres du ministère de l’intérieur, les cartes de résident constituaient 42,7 % des titres de séjour délivrés aux étrangers admis pour la première fois sur le territoire français en 1994, contre 9,2 % seulement en 2013 (sans compter les immigrés algériens, qui relèvent d’un accord bilatéral). Aujourd’hui, selon Antoine Math, économiste à l’Institut de recherche économique et sociale et spécialiste des enjeux sociaux liés à l’immigration, « il n’y a plus d’accession à la carte de résident de manière automatique ».
De nouveaux critères se sont ajoutés, comme l’exigence de ressources suffisantes, d’un bon état de santé ou d’un emploi, leur évaluation étant laissée à l’appréciation du préfet. « On va opposer à des gens résidant depuis vingt ou trente ans en France et qui ont des enfants français qu’ils n’ont pas de ressources suffisantes », observe M. Math. Le titre de séjour le plus courant aujourd’hui a une durée d’un an ; son acquisition et son renouvellement s’opérant après trois ou quatre rendez-vous à la préfecture. Et c’est précisément l’importance du pouvoir discrétionnaire des autorités préfectorales qui est critiqué par les associations dans le fonctionnement actuel des guichets de l’immigration.
Le futur projet de loi, par l’instauration de titres pluriannuels, permettrait justement de limiter les passages en préfecture. Mais Stéphane Maugendre, le président du Groupe d’information et de soutien des immigré-e-s (Gisti) ne considère pas cela comme une avancée : « Ce qui est proposé ne retire rien à ce qui est précarisation, et ne retire rien non plus à ce qui est suspicion. J’ai plutôt l’impression que c’est un projet de loi pour désengorger les préfectures. »
Bien que le rapport Fekl préconise l’obtention de la carte de résident au bout de trois ans et non de cinq comme aujourd’hui, les associations craignent que le titre de séjour pluriannuel délégitime encore plus la carte de résident en la remplaçant petit à petit. Pour Stéphane Maugendre, « cette nouvelle carte n’est pas du tout un tremplin vers la carte de résident, et va encore compliquer les choses pour les immigrés et les demandeurs d’asile ».
La carte pluriannuelle ne sera octroyée qu’après un an de résidence légale en France, et le demandeur devra être assidu à des cours de langue et d’institutions françaises. Et tout au long des quatre années, le détenteur de la carte pluriannuelle devra justifier de son attachement aux diverses obligations, faute de quoi celle-ci pourrait lui être retirée.
La campagne lancée mardi reprend le même argumentaire que celle qui avait conduit à la mise en place de la carte de résident en 1984, et qui avait mobilisé une large partie de la population. Christian Delorme, l’ancien « curé des Minguettes » et initiateur de la Marche pour l’égalité contre le racisme en 1983, rappelle la portée symbolique et politique de cette loi votée à l’unanimité par l’Assemblée nationale, dans un contexte selon lui similaire à celui d’aujourd’hui : « Il a fallu se battre pas mal. Le Front national connaissait ses premiers succès, et il n’y avait pas de consensus à l’intérieur du gouvernement socialiste. Nous ne sommes pas des utopistes. »