Des associations partent en campagne contre la double peine

index Sylvia Zappi

Chaque année, l’expulsion s’ajoute à la prison pour des milliers de délinquants étrangers dont toutes les attaches familiales sont en France. Une quinzaine d’organisations réclament la fin de tels « bannissements » au moment où sort le film de Bertrand Tavernier,  « Histoires de vies brisées ».

ILS S’APPELLENT Laïd, Abdelkrim, Malik ou Mohamed, habitent Sarcelles, Les Mureaux, Fontenay-sous-Bois ou Neuilly-sur-Marne. Tous, anciens détenus étrangers ayant purgé leur peine de prison, sont aujourd’hui menacés d’une seconde peine, l’expulsion. Une « double peine » contre laquelle le Mouvement de l’immigration et des banlieues (MIB) ne cesse d’organiser des manifestations. Souvent dans l’indifférence générale.

Pour briser ce silence, une quinzaine d’associations de défense des étrangers, d’organisations caritatives et de syndicats lancent, mardi 20 novembre, une campagne nationale. Intitulé « Une peine, point barre », ce mouvement, à l’initiative de la Cimade, démarre le jour de la sortie du film de Bertrand Tavernier, Histoires de vies brisées, qui retrace l’histoire des dix grévistes de la faim victimes de la double peine, à Lyon en avril 1998. L’objectif est de tenter de reproduire le mouvement de solidarité qui s’était manifesté en mai 1997 après l’appel des cinéastes en faveur des sans-papiers.

Chaque année, plusieurs milliers de personnes, de nationalité étrangère mais dont l’essentiel de la vie est en France, sont contraintes de quitter le territoire français pour rejoindre leur pays d’origine. Selon une étude de Jean Saglio, directeur de recherches en sociologie au CNRS, ce sont majoritairement des hommes d’âge mûr, originaires d’un pays du Maghreb (à 75 %), qui ont passé la plus grande partie de leur vie en France. Ces « bannis » sont mariés ou vivent en concubinage (68 %) et ont très souvent des enfants (62 %). En 2000, 6 405 doubles peines ont ainsi été pronon­cées et 2 638 exécutées. Les person­nes effectivement expulsées seraient au nombre de 17 000 depuis vingt ans, selon Michael Faure ( Voyage au pays de la double peine, éditions L’esprit frappeur).

L’interdiction du territoire fran­çais (ITF), peine complémentaire à la prison, prononcée par les juges à l’encontre des étrangers, s’est bana­lisée, aboutissant, en 2000, à l’éloi­gnement forcé de 2 212 personnes. Plus de 200 crimes ou délits peu­vent être sanctionnés par une ITF, selon le code pénal. « Les juges en ont fait un usage immodéré. Qu ‘ils aient en face d’eux de simples délin­quants, des petits trafiquants ou des étrangers en situation irrégulière, ils appliquent quasi systématiquement l’ITF», dénonce Michel Tubiana, président de la Ligue des droits de l’homme. S’ajoutent aux ITF judi­ciaires les décisions d’expulsion pri­ses par arrêté du ministre de l’inté­rieur : 426 personnes ont ainsi été expulsées en 2000 par mesure d’«ordre public», principalement des auteurs de délits liés au trafic de stupéfiants.

Depuis plus de vingt ans, les asso­ciations réclament la fin de l’éloi­gnement forcé des jeunes délin­quants étrangers. Des grèves de la faim sont venues régulièrement rappeler les drames Individuels et familiaux que constituent ces ban­nissements. La France a été condamnée plusieurs fois par la Cour européenne des droits de l’homme pour non-respect dé la « vie privée et familiale ». En novembre 1998, dans un rapport remis à Elisabeth Guigou, alors ministre de la justice, la magistrate Christine Chanet avait préconisé « l’interdiction abso­lue » des TF à l’encontre des étran­gers ayant vécu et ayant été scolari­sés en France depuis au moins l’âge de six ans. Un an plus tard, la garde des sceaux avait adressé une circulaire aux parquets, leur deman­dant de mieux prendre en compte « l’intégration personnelle et fami­liale » des personnes avant de pro­noncer une ITF. Le conseil ministé­riel semble être resté lettre morte.

Le nombre de peines complé­mentaires prononcées serait même en hausse depuis les attentats du 11 septembre, selon certains avo­cats. «L’accélération est très nette. Le recours était déjà bien ancré mais ça s’est durci », témoigne Domini­que Noguères, avocate à Paris, jus­qu’alors, de nombreuses décisions n’étaient pas appliquées (59 % de non-exécutions en 2000) : les auto­rités toléraient la présence de ces étrangers tant qu’ils ne commet­taient pas de nouvelle infraction. «On a décidé d’exécuter les interdic­tions du territoire qui dormaient », prétend Me Irène Terrel. Au ministè­re de l’intérieur, on dément : « fl n y a pas de différence notable avec l’année dernière », assure-t-on au cabinet de Daniel Vaillant.

« RIEN NE BOUGE »

Dénonçant le fait que « rien ne bouge », les associations ont déci­dé d’organiser une campagne de longue haleine afin de rouvrir le débat. Dans une plate-forme com­mune, elles réclament une série de mesures urgentes. Tout d’abord, la « suspension de toutes les mesures d’éloignement » prises à l’encontre des catégories protégées. Selon l’article 25 de la loi sur l’immigra­tion, sont inexpulsables les person­nes entrées en France avant l’âge de dix ans, ou qui y résidaient depuis plus quinze ans, les conjoints de Français ou parents d’enfants français. Mais le juge peut passer outre en motivant sa décision. Les associations récla­ment une «protection absolue» pour ces étrangers.

Les expulsions doivent devenir « exceptionnelles », demande aussi le collectif, jusqu’à présent, le ministère de l’intérieur pouvait invoquer la menace à l’ordre public pour expulser tout étranger condamné; l’avis de la commis­sion des expulsions n’était que consultatif. La plate-forme exige, que les décisions soient réellement motivées et que l’avis de la commission lie le ministère de l’intérieur.

Enfin, elle réclame un débat par­lementaire devant « déboucher sur la suppression de la peine d’interdic­tion du territoire français » du code pénal. « Il faut que te juge judiciaire cesse d’avoir ce pouvoir exorbitant de décider la mort civile et le bannis­sement», estime Stéphane Maugendre (avocat), secrétaire général du Grou­pe d’information de soutien aux immigrés (Gisti).

Les associations ont prévu un véritable « plan de guerre » : débats autour du film de Bertrand Tavernier, tracts, affiches. Le 1“ décembre, un appel d’associations ainsi qu’une pétition nationa­le à l’initiative de personnalités! seront publiés. Les parlementaires et candidats aux élections seront sommés de prendre position. Enfin, à l’automne, lors de la ren­trée parlementaire, les associa­tions organiseront un grand rassemblement pour réclamer la fin du bannissement.

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