propos recueillis par Antoins Fouchet, 20/07/1995
Stéphane Maugendre, Avocat, membre du Gisti (Groupe d’information et de soutien des travailleurs immigrés)
Que pensez-vous des charters de clandestins?
Stéphane Maugendre : Il s’agit d’expulsions massives scandaleuses au niveau des principes et de l’organisation pratique.
— Scandaleuses au niveau des principes ?
— La Convention européenne des droits de l’homme interdit les expulsions collectives. Certes, à propos de l’affaire de l’expulsion des 101 Maliens en 1986, la Cour européenne des droits de l’homme a décidé que les mesures d’éloignement du territoire français prises individuellement, mais exécutées collectivement, n’étaient pas contraires à ces dispositions de la Convention européenne. Mais, justement, au plan individuel, ces opérations sont porteuses d’atteintes à des droits élémentaires, comme celui de vivre en famille, qui est inscrit dans les conventions internationales signées par la France. Je ne vous citerai que le cas de Wumba N’Zaki, ce Zaïrois, marié depuis trois ans à une Française et papa d’un enfant français : expulsé par charter à Kinshasa, en mars dernier, Paris a dû, en fait, le rapatrier ensuite.
Expulser des immigrés vers leur terre d’origine peut, par ailleurs, être très risqué pour eux. Le Zaïre fait partie de ces pays sensibles où la violence est extrême. Ce genre d’opérations est inacceptable, moralement et humainement.
— En quoi l’organisation pratique de charters ne serait- elle pas digne?
— Les « bavures » existent. Nous avons été saisis, par le passé, de cas de violences et de molestations policières. De plus, ces opérations se déroulent dans le secret le plus absolu, de préférence tard le soir ou à l’aube. Les droits de la défense sont bafoués. Le processus judiciaire est cour-circuité. Et tout cela, sous l’apparence de la légalité.
Le système débouche sur des dérives inadmissibles. Ainsi, pour le charter du 18 juillet, deux enfants zaïrois, nés en France, et âgés respectivement de 11 et 27mois, ont été placés au dépôt de Paris durant vingt- quatre heures.
Ces méthodes sont trop opaques. Je souhaite qu’elles soient soumises à l’investigation de commissions d’enquête, créées à l’initiative d’organisations humanitaires nationales ou internationales, voire à l’initiative de parlementaires français.
Enfin, la solution des charters de clandestins me parait inefficace. Ce n’est pas elle qui permettra de régler le problème de l’immigration irrégulière.