Laurence Neuer, 10/02/2012
La proposition de Sarkozy de confier le droit des étrangers à une seule juridiction met à mal le principe fondamental de la séparation des pouvoirs.
Est-il opportun d’unifier le contentieux des étrangers et de le confier à une seule juridiction ? Cette proposition de Nicolas Sarkozy, évoquée à deux mois de la présidentielle, n’est pas nouvelle. Brice Hortefeux, alors ministre de l’Immigration, avait en 2007 confié à la commission présidée par l’ancien président du Conseil constitutionnel Pierre Mazeaud le soin de réfléchir à la simplification et à l’unification de ce contentieux, le cas échéant au sein d’une juridiction spécialisée. Aujourd’hui, il s’agirait de confier les expulsions des étrangers entrés illégalement sur le territoire français à la seule juridiction administrative. Cela supposerait de supprimer l’intervention du juge des libertés et de la détention (JLD), qui contrôle actuellement la légalité des mesures de rétention administrative et statue sur le maintien des étrangers en zone d’attente ou en centre de rétention au-delà d’un certain délai. « Rassembler la procédure entre les mains d’un seul juge est une bonne chose dans la mesure où le système actuel est trop lourd et coûteux, souligne l’avocat pénaliste Pierre Olivier Sur. Réunir les deux juridictions en une allègerait la procédure et simplifierait l’accès au droit des justiciables. »
Modifier la Constitution
Pour rappel, la particularité du contentieux des étrangers vient du fait que l’acte initial a un caractère administratif (refus d’un titre de séjour, arrêté de reconduite à la frontière, etc., que l’intéressé peut contester devant le juge administratif), mais que son exécution nécessite le plus souvent une mesure privative de liberté. C’est à ce stade que le juge judiciaire intervient pour se prononcer sur la légalité de l’interpellation et de la garde à vue, ainsi que sur le respect de la notification des droits.
Est-ce pour autant à la juridiction administrative – comme le préconise Nicolas Sarkozy – de porter l’ensemble de ce contentieux ? « Cela aurait l’avantage d’attribuer au juge administratif, compétent pour contrôler la légalité des décisions administratives prises en matière d’entrée et de séjour des étrangers, qui connaît bien le droit des étrangers et dont l’efficacité est reconnue, le seul domaine qui lui échappe aujourd’hui : la rétention des étrangers en vue de l’exécution de la mesure d’éloignement », souligne le rapport Mazeaud.
« En cas de rétention administrative, l’organisation du procès s’en trouverait simplifiée puisqu’au recours de l’étranger contre la mesure d’éloignement elle-même pourraient être annexées des conclusions dirigées contre la mesure privative de liberté. » Toutefois, tempèrent les auteurs, « confier à un juge administratif la mission d’ordonner la privation de liberté d’une personne physique méconnaît tout à la fois la nature de sa fonction, son métier, ses moyens d’action et surtout sa raison d’être ». Et « cette solution se heurte à un obstacle juridique majeur : l’article 66 de la Constitution confie au seul juge judiciaire la protection de la liberté individuelle ». En clair, le fait de transférer de telles attributions au juge administratif, juge de la légalité des décisions d’expulsion, supposerait de modifier la Constitution.
Brouiller la frontière de l’administratif et du judiciaire
« L’objectif du président est de donner un grand coup de pied dans le principe de séparation des pouvoirs et des ordres judiciaires, commente le président du Gisti (Groupe d’infomation et de soutien des immigrés) et avocat au barreau de la Seine-Saint-Denis Stéphane Maugendre. Après avoir coupé les ailes du JLD en repoussant sa saisine à cinq jours à compter du placement en rétention, il veut à présent le supprimer totalement et obtenir cette réforme par référendum pour éviter l’écueil du Conseil constitutionnel, décrypte l’avocat. Mais, prévient-il, rien n’empêcherait une personne privée de liberté de saisir la Cour européenne des droits de l’homme, dans la mesure où elle aura été privée de liberté sans contrôle d’un juge judiciaire. »
Pourquoi, alors, ne pas confier au seul juge judiciaire le contentieux des étrangers, comme le préconise Pierre Olivier Sur ? Cela supposerait aussi de toucher aux racines de notre système et d’enterrer ce principe vieux de plus de 200 ans de la séparation des fonctions administratives et judiciaires. Et, souligne le rapport Mazeaud, « unifier entre les mains du JLD le contrôle de la privation de liberté et celui de la légalité des décisions administratives relatives au séjour des étrangers conduirait à diluer la vocation de ce juge ». Faut-il alors inventer une juridiction à deux casquettes ? Mesure contre-productive et complexe à mettre en place, avait tranché le rapport Mazeaud.