AFP, Sylvain Peuchemaurd, 12/10/2016
Le parquet a requis mercredi 2.000 euros d’amende contre des responsables du Syndicat de la magistrature, de l’association de soutien aux immigrés Gisti et de la Ligue des droits de l’homme (LDH), accusés d’avoir discrédité une décision de justice.
Dans un communiqué commun, les trois organisations avaient dénoncé une décision rendue fin mars 2015 par la cour d’appel de Paris, qui refusait une mesure d’assistance éducative à un jeune Malien au motif que sa minorité « n'(était) pas établie ».
Selon l’arrêt, l’extrait d’acte de naissance et la carte d’identité attestant sa minorité étaient « considérés comme authentiques par le bureau de la fraude documentaire », mais des interrogations subsistaient aux yeux des magistrats.
La cour avait demandé en vain des tests osseux, très critiqués par les associations. Les juges estimaient que des « éléments extérieurs » comme « son allure et son attitude » venaient contredire les documents du jeune homme.
Dans un communiqué, les trois organisations avaient dénoncé « le raisonnement (…) doublement fallacieux » des magistrats. « Pour rendre cette invraisemblable décision, la cour n’a pas seulement renié toute humanité, elle a dû aussi, tordre le droit », dénonçaient la LDH, le SM et le Gisti.
Leurs responsables respectifs sont jugés pour « discrédit » jeté sur une décision de justice. Une qualification pénale rarement utilisée, en tout cas pour la première fois à l’égard du Syndicat de la magistrature.
« C’est une critique argumentée », a déclaré à la barre l’ancienne responsable du SM, Françoise Martres, « les termes sont vifs parce que c’est un communiqué de presse ».
L’objet de ce texte n’était « évidemment pas » de jeter le discrédit mais « nous avons voulu alerter l’opinion sur les conséquences de certaines décisions », a-t-elle poursuivi.
Dans la presse, ce communiqué « n’a été repris que le jour où nous avons été convoqués par la police », a expliqué Stéphane Maugendre, du Gisti.
Parmi les témoins de la défense, l’ancien ministre (PS) Pierre Joxe, qui s’est dit « complètement sidéré » par la décision visée dans le communiqué.
Les prévenus ont invoqué la liberté d’expression syndicale, et vilipendé le recours aux tests osseux – consistant en un examen radiographique – dont la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) recommande l’interdiction. Tests dont un pédiatre, appelé à témoigner par la défense, a souligné le manque de fiabilité.
Pour le procureur Jean Quintard, les termes du communiqué sont « très forts », « voire injurieux ». Ce n’est « pas le principe de la critique qui est en cause » ici, mais sa « violence ».
Pour la défense de Pierre Tartakowsky, ancien président de la LDH, Me Henri Leclerc a distingué la critique et le discrédit.
« Notre rage, devons-nous l’exprimer en termes mesurés ? », s’est-il interrogé. Les décisions de justice critiquées sont légion, dans les revues juridiques « la violence est inouïe », dans la presse, elle est « absolue ».
Ce procès « n’aurait jamais dû avoir lieu », a estimé l’avocat, « le tribunal est saisi d’une grave atteinte à la liberté d’expression ».
La liberté d’expression syndicale « doit être protégée, même dans ses excès », a plaidé le conseil de Mme Martres, Me Maxime Cessieux, « nous n’avons rien à craindre et tout à gagner du syndicalisme judiciaire ».
Le jugement sera rendu le 23 novembre.