Jules Metge,
Le parquet a requis, mercredi 12 octobre, 2 000 euros d’amende contre des responsables du Syndicat de la magistrature, du Gisti et de la Ligue des droits de l’homme, accusés d’avoir discrédité une décision concernant un migrant.
Critiquer ou discréditer ? Telle était la question posée mercredi 12 octobre au tribunal correctionnel de Paris. Le parquet poursuivait la Ligue des droits de l’homme (LDH), le Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti) et le Syndicat de la magistrature pour « discrédit jeté sur une décision de justice ». A l’origine des poursuites, un communiqué commun aux trois organisations visant un arrêt de la cour d’appel de Paris de mars 2015. Celle-ci avait refusé à un jeune Malien l’assistance à mineur isolé, au motif que « son apparence et son attitude ne [corroboraient] pas sa minorité ».
Malgré des papiers d’identité authentifiés par le service de la fraude documentaire, la cour d’appel avait en outre justifié sa décision par l’absence de tests osseux, une mesure très controversée censée déterminer l’âge d’un individu. Dans leur communiqué, les trois associations dénonçaient une « invraisemblable décision », affirmant que « la cour n’(avait) pas seulement renié toute humanité, elle (avait) dû, aussi, tordre le droit ».
A la barre, Françoise Martres, présidente du Syndicat de la magistrature lors des faits, admet des termes « vifs », mais conçoit le texte dans son ensemble comme « un commentaire argumenté de l’arrêt », qui ne peut se confondre avec une volonté de discréditer la justice.
« En disant “inadmissible”, je discrédite ? »
Les trois prévenus viennent ainsi tour à tour défendre le droit de débattre, comme Pierre Tartakowsky, « viscéralement attaché à la critique ». Evoquant l’affaire Dreyfus, l’ancien président de la LDH rappelle que « la Ligue n’a pas été créée pour la critique de la justice, mais pour une critique ». Dans le communiqué, la critique était seulement dirigée contre un « durcissement de la jurisprudence », affirme Stéphane Maugendre, ancien président du Gisti.
Comment dès lors différencier le discrédit de la critique ? Selon le procureur Jean Quintard, quand les propos « outranciers » s’écartent du « commentaire technique ». Henri Leclerc, avocat de la LDH, s’insurge : « Si la violence des propos caractérise le discrédit, alors on entre dans l’arbitraire. » « En disant “inadmissible”, je discrédite ? », interroge-t-il.
Pour la défense, la liberté de critiquer les décisions de justice n’est pas le seul enjeu du procès. Pierre Joxe, ancien ministre de l’intérieur, un responsable associatif et un pédiatre se succèdent pour démontrer l’inefficacité des examens osseux dans l’évaluation de l’âge des jeunes demandeurs d’assistance. Le procès s’offre pour les associations comme une tribune permettant de revenir sur le traitement des mineurs étrangers isolés. Evaluation de l’âge par tests osseux, recours des personnes dont la minorité est niée, le système d’accès à l’assistance pour mineurs et ses failles sont expliqués.
« Suspicion érigée en principe »
Jean-François Martini, chargé d’études au Gisti, s’inquiète que l’argument de l’âge apparent soit utilisé pour réguler l’afflux des demandes. Il dénonce une « suspicion érigée en principe », selon lequel des documents authentifiés ne permettent plus de prouver la minorité. « L’intérêt général, c’est qu’un mineur ne soit pas livré à lui-même », ajoute Pierre Joxe, aujourd’hui avocat spécialisé dans la justice des mineurs, qui plaide pour un modèle inspiré par l’étranger : « Au Québec, s’occuper d’un mineur isolé qui “déraille”, c’est s’occuper du Québec. »
« Ce n’est pas le sujet », estime le procureur. Pour les avocats des associations, le traitement des mineurs isolés est bien au cœur du débat, puisqu’il s’agit de dire si la critique du communiqué contre l’arrêt de la cour d’appel était fondée.
Le parquet a requis 2 000 euros d’amende contre les responsables des trois associations. Le jugement sera rendu le 23 novembre.