La grève de l’aide légale se poursuit malgré la création d’une commission chargée d’étudier la question. Les avocats ne veulent pas se faire oublier… C’EST bien connu, en France, si on veut enterrer un problème, il suffit de créer une commission ! Les avocats le savent, qui, tout en approuvant l’initiative du ministère de la Justice d’instaurer la commission Bouchet pour régler la grève de l’aide légale, ont décidé de poursuivre leur mouvement tant qu’aucun résultat concret ne sera obtenu. « Si le gouvernement veut gagner du temps, il nous trouvera en face de lui, prévient Me Stéphane Maugendre, membre du conseil du Syndicat des avocats de France (SAF,gauche). Ce que l’on souhaite, c’est qu’une fois le rapport du groupe d’études établi, un projet de loi soit déposé dans les six mois qui suivront. Tant que nous n’avons pas cette assurance »…
Tant qu’ils n’auront pas cette assurance, différents barreaux se mettront en grève, à l’instar de ceux de Nantes, Bobigny ou Nanterre, les premiers à avoir refusé d’assurer les commissions d’office. Cette semaine, les avocats de Montpellier et Béthune ont suivi leur confrère.
Au total, ce sont désormais 51 barreaux qui ont tenu à manifester clairement leur mécontentement.
Le conflit, qui a éclaté ces dernières semaines, couvait depuis plusieurs années. Les avocats se plaignaient en effet de la forme actuelle de l’aide légale, rémunérée si faiblement qu’elle coûtait de l’argent aux robes noires au lieu de leur en rapporter… Le risque était alors de voir apparaître une justice à deux vitesses avec les affaires sérieuses et les autres que l’on aurait tendance à expédier.
9500 dossiers
Bobigny est certainement le tribunal le plus touché par ce phénomène. Avec une population composée de familles économiquement faibles, notamment en Seine-Saint-Denis, il devenait difficile aux 166 avocats d’assurer les 9 500 dossiers qu’ils ont en charge chaque année. (9 % des commissions d’office de France, pour 1 % des avocats de notre pays).
A Paris, la proportion est inverse. Ils ont certes 10 % des commissions d’office, mais pour un tiers des avocats. C’est pourquoi le plus gros barreau de France ne s’est pas mis en grève, mais soutient totale¬ment ses confrères de province. « L’aide judiciaire est l’un des aspects de la paupérisation de la] justice. Il est nécessaire d’adapter le système aux besoins propres de chaque barreau » constate Me Stéphane Bloch, un jeune avocat parisien. Lui n’est pas directement touché par ce phénomène puisqu’il n’a que trois à quatre commissions d’office par an. Il reconnaît même se porter volontaire aux comparutions immédiates le samedi et le dimanche pour dit-il « découvrir le pénal, moi qui dans mon cabinet m’occupe surtout du droit des affaires. »
Paris, situation privilégiée? Certainement. Mais comme tous leurs confrères, les avocats parisiens s’inquiètent de la réforme globale de la profession. « On ne voudrait pas que lors de la fusion entre avocats et conseils juridiques, les premiers soient en charge de toute l’aide légale, alors que les seconds se¬raient tentés d’y échapper » commente Me Stéphane Bloch.
1993 n’est plus si loin.
Si tous les avocats reconnaissent indispensable une fusion entre ces deux métiers la France est le seul pays européen à connaître une telle dichotomie, ils refusent que cette union se fasse à n’importe quelle condition. S’ils peuvent influencer les positions politiques, c’est avant que toute décision ne soit prise. C’est donc maintenant que les avocats doivent s’exprimer, ou se taire à jamais…