Le délit d’indignation à la barre

newlogohumanitefr-20140407-434 Marie Barbier, 13/10/2016

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photo Joël Saget/AFP
Le Syndicat de la magistrature, le Gisti et la Ligue des droits de l’homme comparaissaient hier devant le tribunal correctionnel de Paris pour avoir « discrédité » une décision de justice.

Il est des procès qui, à l’heure où le garde des Sceaux lui-même parle de « clochardisation » de la justice devant la misère de ses moyens, posent sérieusement question. Ainsi en est-il de l’audience qui s’est tenue hier devant la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris. Le Syndicat de la magistrature (SM), le Gisti et la Ligue des droits de l’homme (LDH) comparaissaient pour avoir « cherché à jeter le discrédit sur une décision juridictionnelle » et ainsi avoir « porté atteinte à l’autorité de la justice ou à son indépendance ». Des faits punis de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende.

À l’origine de l’affaire, une décision de justice étonnante. En mars 2015, la cour d’appel de Paris a refusé une mesure d’assistance éducative à un jeune Malien sous prétexte que sa minorité « n’était pas établie ». Son extrait d’acte de naissance comme sa carte d’identité, certifiés authentiques, l’attestaient pourtant. Les magistrats avaient réclamé des tests osseux. Mais le jeune s’étant présenté sans son avocat, l’examen n’avait pu être effectué. La cour d’appel avait alors prétexté de « son allure et de son attitude » pour justifier sa majorité… Stupéfaites par cet argumentaire, les trois associations avaient rédigé un communiqué de presse où elles dénonçaient un « raisonnement doublement fallacieux » et écrivaient : « Pour rendre cette décision invraisemblable, la cour n’a pas seulement renié toute humanité, elle a dû aussi tordre le droit. » Le sang de l’avocat général du parquet de Paris a tellement tourné quand il a lu ceci qu’il a tenté de se constituer partie civile contre les organisations, avant de se désister, n’en ayant pas le droit, mais les poursuites ont subsisté. Puisque la justice a décidé de consacrer une journée d’audience entière à ces poursuites « dérisoires et pathétiques », comme les a qualifiées Pierre Tartakowsky, ancien président de la LDH, les prévenus ont décidé d’utiliser cette tribune pour parler des mineurs isolés étrangers, des très contestés tests osseux et de la liberté syndicale. Une journée passionnante en somme, aux frais de la justice…

« Dans une société démocratique, la justice ne peut pas être préservée des critiques, commence Françoise Martres, ancienne présidente du Syndicat de la magistrature et poursuivie à ce titre. Je ne crois pas que l’obligation de réserve s’applique à un syndicat, la liberté syndicale serait réduite, ça n’est pas admissible. »

Pseudo-décisions scientifiques

Pour les trois organisations poursuivies, le sujet de fond est bien la prise en charge des mineurs isolés étrangers, ces « jeunes à la rue, souvent analphabètes et en situation de survie », rappelle Jean-François Martini, du Gisti, cité comme témoin. « Sur la base de pseudo-décisions scientifiques, ils sont déclarés majeurs et condamnés en comparution immédiate à rembourser les frais de leur prise en charge », poursuit Françoise Martres. Le pédiatre Vincent Chevalier explique la création de ces tests osseux « il y a 70 ans » par deux médecins américains, sur un panel « d’enfants caucasiens ». Leur marge d’erreur s’étale jusqu’à deux ans et demi et l’Académie de médecine elle-même juge qu’ils ne peuvent être utilisés pour définir l’âge chronologique. « Il ne s’agit pas simplement d’une radio du poignet, dénonce l’avocat du SM, Maxime Cessieux. On met un enfant nu, on lui pèse les bourses et on lui ausculte les dents. »

« Ce n’est pas la question des tests osseux dont vous êtes saisis, mais celle du délit de discrédit, tente le procureur de la République, Jean Quintard. La violence des propos constitue la frontière entre la critique et le discrédit. » Il réclame 2 000 euros d’amende pour chacun des trois prévenus. Il n’en fallait pas plus pour déclencher toute la colère contenue et la verve de l’avocat de la LDH, Me Henri Leclerc, qui, du haut de ses 82 ans, a livré une réjouissante plaidoirie dont il a le secret. « La LDH existe depuis 118 ans, c’est la première fois qu’elle est poursuivie. Pour avoir utilisé le mot “invraisemblable”. » « Comment dire notre rage en des termes mesurés ? s’interroge le ténor du barreau. C’est cette décision de justice qui jette le discrédit sur la justice. » Et de rappeler que l’article instituant le délit de discrédit, promulgué par de Gaulle en 1958, n’est pas utilisé depuis : les revues de droit, les médias et mêmes les syndicats de police critiquent régulièrement les décisions de justice. « Vos choix de poursuites sont arbitraires », lance-t-il au procureur avant de demander une « relaxe avec éclat ». Le jugement a été mis en délibéré au 23 novembre.

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