Interview de S.Maugendre par F.Miguet 24/11/2007
Pourquoi l’enfant, Angolais tout comme son père, ne fait-il pas, lui aussi, l’objet d’un éloignement du territoire ?
– La justice relative à l’enfance est gérée par l’ordonnance de février 1945 relative à la protection de l’enfance. Celle-ci dispose clairement l’interdiction de tout éloignement d’un enfant du territoire français jusqu’à sa majorité.
Deux droits s’opposent ici : d’un côté celui des étrangers, de l’autre le droit qui s’applique aux mineurs. C’est ce dernier qui prime. Un mineur ne peut en aucun cas être éloigné du territoire français. C’est le principe.
Peut-on légalement éloigner du territoire français un parent sans son enfant ?
– C’est une question compliquée. Si l’on prend la décision d’éloigner une femme ou un homme du territoire français, on ne peut pas, en principe, faire éclater une famille. Il faudrait donc que l’enfant soit éloigné aussi. Comme ce dernier ne peut l’être, du fait de l’ordonnance de 1945, son droit devrait primer, et interdire la reconduite de ses parents. Actuellement, en pratique, il y a très peu de reconduites à la frontière qui concernent des sans-papiers parents d’enfants résidant sur le territoire français.
D’ailleurs, les juridictions judiciaires et administratives ont pour habitude de sanctionner de telles pratiques. Quand il y en a cependant, il s’agit de cas à la marge, et cela ne concerne qu’un seul des deux parents. En l’espèce, la mère de l’enfant est décédée.
Il s’agit là de choix politiques. Dans la mesure où l’on veut faire primer la chasse à l’étranger sur la vie des enfants, on peut se permettre d’éloigner le majeur, avec ou sans son enfant.
Mais, si l’on considère, au contraire, que l’on doit faire primer la vie du mineur, on interdit, dans ce cas, de faire exploser les familles.
C’est une situation scandaleuse !
On se focalise sur un cas particulier, comme si cela représentait l’ensemble des étrangers sur le territoire français. Là, l’enfant est scolarisé, il a des amis, qui peuvent très bien être nos enfants. C’est toute une cohérence sociale qui est touchée, pas seulement l’enfant, mais aussi ceux qui l’entourent. Au nom de quoi ? D’une politique de fermeté ?
La Convention internationale des droits de l’enfant, ratifiée par la France, dit qu’un enfant doit être protégé. Il y a ici une ingérence du politique contre l’enfant. L’argumentation juridique existe, mais, ici, l’on fait face à un choix politique.
Si l’on choisit que les parents d’enfants domiciliés sur le territoire français peuvent être reconduits à la frontière, alors on se désengage des obligations internationales.
Cela existe depuis la circulaire Sarkozy de 2006, qui annonçait qu’elle allait régulariser des parents d’enfants présents sur le territoire français. 60.000 personnes sont allées se dénoncer aux préfectures sur la base de critères qui paraissaient souples. Mais, une circulaire n’a aucun effet en droit. Entre 6.000 et 10.000 personnes ont été régularisées. Mais les autres ?
Elles ont été fichées. La situation à laquelle nous faisons face à présent a été préparée depuis longtemps. En ce moment on parle de régularisation par le travail avec la loi Hortefeux. Mais rien n’est clair. De nombreux employés et employeurs en situation irrégulières vont se livrer en pâture sans garantie précises. On les fiche, eux aussi. Le cas de cet Angolais est symptomatique. Qu’est-ce que cela change si on le laisse avec son enfant ? Rien du tout. On est en plein délire !
Que risque-t-il d’advenir de l’enfant ? L’Etat n’a-t-il pas une obligation d’aide ou de protection le concernant ?
– L’Etat a une obligation de protection sous réserve qu’il n’y ait pas d’autre membre de la famille. Un juge pour enfant doit être saisit, afin que le mineur soit placé auprès d’un tiers digne de confiance. Ce peut être une tante, un oncle, mais aussi l’ASE (Aide sociale à l’enfance). Savez-vous combien coûte une reconduite à la frontière, grosso modo ?
On parle de 50.000 euros. C’est énorme ! Là, on va devoir ajouter la saisine du juge pour enfant, qui a sûrement beaucoup mieux à faire. Imaginez l’argent que cela coûte. On tombe sur la tête !
Appuyer sur cet accélérateur là pour obtenir 25.000 reconduites à la frontière, c’est du chiffre, pour faire de l’annonce. Et cela au détriment du travail de la police et de la gendarmerie. Lorsque l’on en discute avec eux, on constate que policiers et gendarmes en ont pardessus la tête. Pendant ce temps, ils ne peuvent pas lutter contre la vraie délinquance. Aujourd’hui, être sans-papiers, c’est un délit puni d’un an d’emprisonnement et de trois ans d’interdiction du territoire. Et on préfère s’arcbouter là-dessus.
Mais ces gens ne sont pas des voyous. Ils viennent en France pour travailler, parce qu’il ya du boulot en France. Il y a, aujourd’hui, 500.000 postes non pourvus dans le monde du travail, dont 70.000 dans le bâtiment. On nous dit: « Régulariser des gens, ça fait des appels d’air ». Mais l’appel d’air c’est qu’il y a du travail non pourvu en France, et que ces gens veulent le faire. J’ai des clients sans-papiers qui travaillent entre 35 et 70 heures par semaines. Et lorsqu’il faut présenter un titre de séjour pour obtenir un CDI, il se barre. C’est ça la vérité. Ces gens ne sont pas responsables des émeutes dans les banlieues, ils ne viennent pas pour faire du trafic, mais pour travailler.