Geoffroy Tomasovitch, 21/05/1999
Deux fonctionnaires poursuivis pour « homicide involontaire »
Le 22 septembre 1998 en Belgique, la mort d’une Nigériane de 20 ans, étouffée sous un coussin manipulé par des gendarmes lors d’une tentative d’expulsion, avait soulevé l’indignation générale. Sept ans plus tôt en France, la mort d’Arumugam Kanapatipillaï était passée presque inaperçue. Ce Sri-Lankais de 32 ans avait succombé à un arrêt cardio-respiratoire suite à un embarquement forcé à Roissy (Val-d’Oise). Hier, les deux policiers chargés de l’escorter le 24 août 1991 ont été jugés pour « homicide involontaire » en correctionnelle à Nanterre (Hauts-de-Seine).
Le 9 août 1991, Arumugam dé-barque à Roissy. Ce fils de paysans a fui le Sri Lanka, où son appartenance au parti séparatiste tamoul des Tigres met sa vie en danger. Il espère rejoindre sa femme en Allemagne. Le Tamoul formule sa demande* l’asile politique en France. Refus. Le 17, il doit être expulsé vers Colombo. Il résiste et la tentative d’embarquement échoue. En prenant en charge le Tamoul sept jours plus tard, les deux fonctionnaires de la police de l’air et des frontières (PAF), commissaire et brigadier à l’époque, savent qu’ils reconduisent un « refoulé » capable de se rebeller. Arumugam s’asseoit dans l’appareil, les pieds entravés, les mains menottées dans le dos. Une bande Velpeau l’empêche de crier.
Jugement le 24 juin
«Je lui ai proposé d’ôter le bâillon à condition qu’il se tienne tranquille », se souvient le commissaire Eric B. Mais très vite, le Tamoul s’agite. « J’ai attrapé une couverture. On l’a utilisée comme une sangle au niveau du thorax pour le maintenir sur son siège », poursuit Eric B. La lutte, avec des pauses, durera un gros quart d’heure. Brutalement, l’homme ne se débat plus. Il décédera le lendemain à l’hôpital. « Asphyxie du cerveau », dira l’autopsie, qui relèvera aussi une compression cervicale et une faiblesse cardiaque. « Ce n’est pas un accident, accuse la veuve en es. Mon mari a été tué. Il ne voulait pas partir. ». Sa petite fille n’a jamais connu son père. Me Piquois, son avocat, enfonce le clou : « Sans ce bâillon fou et cette couverture, cet homme serait encore en vie ! » Symbole « inhumain et dégradant » aux yeux des associations de défense des droits de l’homme et des étrangers parties civiles, le bâillon n’était autorisé par aucune loi en 1991. Son usage était malgré tout fréquent. « Il sert aussi à montrer notre détermination aux expulsés », admet le commissaire. Mais lui et son collègue affirment n’avoir à aucun moment obstrué le nez du Tamoul ou exercer de pression sur son cou. Alors, pourquoi ce décès ? « Un en-semble de choses y a concouru, estime le procureur Garrigues. Le stress du refoulé, sa faiblesse cardiaque, son agitation. Il faut le com-prendre, il ne voulait pas retourner mourir dans son pays. » Puis, il relève la maladresse des policiers — dont l’avocat a plaidé la relaxe — et leur imprudence d’avoir voulu à tout prix éviter un nouveau refus d’embarquer. Il n’a requis aucune peine. Jugement le 24 juin.