Jean-Baptiste François, 05/08/2014
Depuis trois mois, le passage des migrants par l’Italie n’est plus enregistré par l’administration transalpine. Ce pays s’estime trop esseulé au sein de l’UE pour faire face aux arrivées de candidats à l’exil. De ce fait, la France ne peut plus renvoyer en Italie ceux qui font sur son sol une demande d’asile.
En l’absence de gestion coordonnée des flux migratoires européens, et après maints appels à l’aide restés sans réponse de la part des autres pays de l’UE, l’Italie semble s’être résignée à relâcher ses efforts pour endiguer les arrivées plus nombreuses dans l’espace Schengen. Un renoncement dont la France mesure maintenant les effets.
Une note de la police aux frontières (PAF) du 9 juillet, dévoilée mardi 5 août par Le Figaro , évaluait que 61 591 migrants ont débarqué en Italie au premier semestre 2014, essentiellement des Érythréens (30 %) et des Syriens (17 %), soit presque huit fois plus que sur la même période en 2013 (7 913 migrants).
D’après le document, le nombre d’interpellations d’étrangers en situation irrégulière par les autorités françaises n’a eu de cesse d’augmenter depuis avril, avec 1 845 contrôles en mai (+ 165 % en un mois), puis 2 628 (+ 43 %) en juin.
l’Europe peine à prendre des mesures communes
Mais les personnes arrêtées ne peuvent être refoulées vers l’Italie. Si leur itinéraire ne fait guère de doute, « l’absence de document d’identité ou d’éléments objectifs justifiant la provenance d’Italie rend la sollicitation auprès de ce pays d’une admission effective impossible », note le rapport.
En effet, en vertu du règlement de Dublin de 1990, les demandes d’asile doivent être effectuées uniquement dans le pays d’entrée. C’est en principe l’inscription sur le fichier Eurodac qui fait foi. Mais les prises d’empreinte par les autorités Italiennes ne seraient plus systématiques.
« Il y a bien une stratégie cohérente et consciente des Italiens de ne pas enregistrer tous les migrants, ce qui montre hélas combien l’Europe est en panne sur la construction d’une politique commune », commente Pierre Henry, directeur général de France terre d’asile.
Un précédent lors des révolutions arabes en 2010
Ce relâchement des services des étrangers italiens a déjà eu des précédents, notamment au moment de la révolution en Tunisie de 2010. À l’époque, l’administration italienne avait massivement délivré des titres de séjour de trois mois aux clandestins, leur permettant ainsi de circuler librement en France ou ailleurs dans l’espace Schengen.
Le préfet des Alpes-Maritimes, Adolphe Colrat, explique à La Croix avoir bénéficié d’un renfort policier conséquent. « Nous nous efforçons de contrarier au mieux ce flux » déclare le haut fonctionnaire faisant état de l’interpellation de 36 passeurs qui tirent profit de la détresse des réfugiés.
« Cela dit, on peut considérer que nous nous trouvons face à un phénomène qui se situe à l’échelle de la solidarité européenne, et pas au seul niveau franco-italien », commente-t-il.
La France, « pays de transit »
Le président du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti), Stéphane Maugendre, se méfie des conclusions qui pourraient être tirées de cette note de la PAF. « J’espère qu’il ne s’agira pas de renforcer de nouveau les moyens Frontex », l’agence européenne de lutte contre l’immigration clandestine. « Cet organisme n’a jamais arrêté personne. Il fait prendre aux migrants toujours plus de risques en mer », poursuit-il.
L’entourage du ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve confirme à La Croix qu’il y a effectivement un « afflux récent de migrants » en provenance de l’Italie. « Cela explique notamment l’augmentation du nombre de personnes en transit à Calais », commente-t-on.
Sur cette route migratoire, « la France est un pays de transit. D’ailleurs, la demande d’asile a baissé au premier semestre 2014 », poursuit cette même source. L’Allemagne, la Suède ou l’Angleterre figureraient en revanche parmi les destinations privilégiées.
Deux fois plus d’autorisations provisoires que l’an dernier
Contacté, l’Office de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) confirme l’absence de hausse manifeste des demandes mais cela est probablement une question de temps. Certains migrants seraient de plus en plus nombreux à tenter leur chance en France.
« En juillet, nous avons doublé le nombre d’autorisations provisoires de séjour délivrées en préfecture, par rapport à la même période l’année dernière », constate Véronique Devise, présidente départementale du Secours catholique. « Certains migrants savent qu’ils ne pourront être immédiatement renvoyés aux frontières italiennes. Ils n’hésitent donc plus à s’inscrire chez nous », poursuit-elle.
À Calais, la situation s’est considérablement tendue. La zone portuaire de la ville est devenue le terrain d’affrontements entre groupes de Soudanais et d’Érythréens ces deux derniers jours. Malgré l’envoi d’une quarantaine de CRS en renfort dès dimanche soir, ces heurts ont fait au total près de 70 blessés, dont l’un a dû être héliporté dans un état grave à l’hôpital de Lille, dans la nuit de lundi à mardi.