Céline Rastello, 23/07/2014
L’Intérieur a présenté deux projets de loi concernant le droit d’asile et l’immigration. L’avis de Stéphane Maugendre, président du Gisti et avocat spécialisé en droit des étrangers.
Deux projets de loi concernant le droit d’asile et l’immigration ont été présentés mercredi 23 juillet en Conseil des ministres. Aux manettes, le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve. La France « doit demeurer » une « terre d’immigration et une terre d’asile », assure-t-il à « Libération », « les pays refermés sur eux-mêmes sont condamnés au déclin ».
Stéphane Maugendre, avocat spécialisé en droit des étrangers et président du Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés), commente les principaux points des projets de loi.
1. Raccourcissement des délais de traitement
L’idée : Ramener de deux ans ou plus à 9 mois en moyenne, en 2017, le délai de traitement des demandes d’asile. L’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), qui statue sur le bien fondé des demandes, pourra placer en « procédure accélérée » les dossiers qui lui paraissent abusifs, et qui devront être jugés par un juge unique dans le délai d’un mois.
Stéphane Maugendre : « L’idée est de réduire de façon globale la durée des demandes, mais en instituant un certain nombre de procédures accélérées pour un certain nombre de cas. Et qui dit procédure accélérée dit une étude du dossier, pas forcément en faveur du demandeur d’asile, comme souvent lors de procédures accélérées. Au risque que son dossier ne soit pas étudié de façon sereine et équitable. La collégialité amène le débat. Le juge unique n’est pas une avancée. Plutôt une régression. »
2. Création d’un titre de séjour pluriannuel
L’idée : L’obligation de renouveler son titre de séjour chaque année crée d’interminables files d’attente en préfecture. 99% des demandes de renouvellement étant acceptées, l’Intérieur veut proposer, sous conditions, une carte de séjour allant de deux à quatre ans après le premier titre d’un an.
Stéphane Maugendre : « Quand on regarde dans le détail, tous les étrangers ne seront pas concernés et le nombre de personnes éligibles à cette carte est considéré de façon extrêmement restrictive. Nous avons lancé la campagne ‘Rendez-nous la carte de résident’ qui avait été adoptée à l’unanimité en 1984 et permet aux gens d’être réellement sécurisés dans leur parcours. Pourquoi n’y revient-on pas ? La mesure annoncée est issue d’une proposition du rapport de Matthias Fekl de mai 2013 qui fait un constat accablant sur la carte d’un an (forte précarisation, difficulté à trouver un emploi stable, préoccupation du renouvellement de la carte plus importante que la participation à la vie de la cité…)
Si on veut effectivement sécuriser le parcours des étrangers et augmenter leurs possibilités d’intégration, il faut proposer une carte de 10 ans, et pas de 4.
C’est en outre à l’appréciation du préfet, donc avec un risque d’arbitraire. Cette carte pluriannuelle semble davantage avoir été créée pour désengorger les préfectures et renforcer le pouvoir de contrôle des préfets. »
3. Création d’un « passeport talents »
L’idée : La France attire peu de professionnels qualifiés parmi les 200.000 étrangers hors Union européenne qu’elle accueille légalement chaque année. Le gouvernement propose donc de créer un nouveau titre de séjour, le « passeport talents », valable quatre ans, qui permettra aux profils qualifiés et à certains étudiants de s’installer plus facilement en France.
Stéphane Maugendre : « C’est à la marge. Tellement peu de cartes comme celles-ci sont accordées… »
4. Création de nouveaux droits
L’idée : Permettre aux demandeurs d’asile d’être assistés par un avocat.
Stéphane Maugendre : « Avant, le demandeur d’asile, même s’il pouvait demander conseil à un avocat, n’était pas assisté devant l’Ofpra ou même lors de sa demande d’asile. C’est une bonne chose, mais cela fait partie des retranscriptions communautaires (trois directives européennes). On ne pouvait donc pas faire autrement. »
5. Mise en place d’un « hébergement directif »
L’idée : Imposer aux demandeurs d’asile qui se concentrent actuellement en Ile-de-France d’être répartis sur l’ensemble du territoire. Et de se voir, en cas de refus, supprimer leurs allocations mensuelles (300 euros). Une personne ne pourrait quitter son lieu d’hébergement plus de 48h sans autorisation du préfet. Au risque de voir sa demande close par l’Ofpra.
Stéphane Maugendre : « Les projets de loi parlent de ‘cantonnement’. J’appelle cela une assignation à résidence. En empêchant une personne de quitter son lieu d’hébergement, on l’empêche de se regrouper auprès d’éventuels membres de sa famille, sa communauté ou son parti politique. C’est tout de même une drôle de manière d’appréhender les demandeurs d’asile ! Pas sûr, d’ailleurs, que cela passe d’un point de vue constitutionnel.
Les demandeurs d’asile se trouvent principalement en Ile-de-France car l’Ofpra et la CNDA (Cour nationale du droit d’asile, qui a le rôle d’instance de recours en cas de rejet par l’Ofpra) s’y trouvent aussi.
Parce ce qu’on ne peut pas ‘faire face’ on veut répartir les forces sur toute la France ? Pourquoi ne pas plutôt les concentrer ? »
D’une manière générale, Stéphane Maugendre estime « qu’on est encore une fois dans la continuité des précédentes législations. L’étranger est toujours suspect de quelque chose : d’une fraude, du fait de s’installer où il ne doit pas, de faire trop de recours… Ça ne change pas ». Il s’insurge également contre une autre volonté du gouvernement : celle consistant à réduire les délais de recours des étrangers se voyant refuser leur titre de séjour et se voyant notifier une OQTF (Obligation de quitter le territoire français). « Particulièrement scandaleux » selon le président du Gisti, qui insiste sur la « complexité » de la procédure et les éventuelles difficultés rencontrées pour rassembler les différents documents, trouver un interprète,… Une mesure destinée, selon lui, à « désengorger les juridictions administratives. »