François Jean-baptiste, 13/01/2014
Voilà une dépense que l’État ne semble pas vouloir prendre à la légère, en ces périodes de réduction du déficit public. De plus en plus d’étrangers intentent des recours en justice et la note commence à être un peu trop salée, au goût de l’administration, qui dénonce les « stratégies » de certains avocats pour développer le contentieux dans ce domaine.
Entre 2008 et 2012, les litiges spécifiques aux ressortissants d’autres pays ont provoqué un doublement des frais pour les préfectures, passant de 8,5 à 16,6 millions d’euros, révèle un rapport de l’IGA sur « l’évolution et la maîtrise des dépenses de contentieux », discrètement mis en ligne sur le site de la Place Beauvau, le 20 décembre dernier. Mais, au-delà du constat statistique, c’est l’analyse avancée par ce document qui provoque les foudres des défenseurs des migrants et demandeurs d’asile.
Tout d’abord, la mission pointe du doigt les « stratégies juridictionnelles toujours renouvelées de la part des avocats ». Ces derniers parviennent à trouver des failles juridiques qui obligent les préfectures à s’adapter, le temps que le juge de l’appel mette fin « à la jurisprudence de première instance » et à « l’effet de mode », regrettent les deux inspecteurs responsables de l’enquête, François Langlois et Chloé Mirau. Ces derniers déplorent également qu’« il n’existe à ce jour aucune limitation du droit à l’aide juridictionnelle », accessible pour tout justiciable ne disposant pas des moyens nécessaires pour régler ses frais de défense, ni aucun « coût d’entrée » pour attaquer la décision d’un préfet, « qui pourrait être dissuasif pour les premiers dossiers ». Le document s’alerte également de la multiplication des remboursements des frais engagés par le requérant lorsque l’État est perdant.
Ces positions ne manquent pas de jeter le trouble parmi les juristes spécialistes du droit des étrangers. « C’est le monde à l’envers. Si l’administration était moins dans l’illégalité, on ne se poserait pas la question du contentieux », estime Serge Slama, universitaire rattaché au Centre de recherche et d’études sur les droits fondamentaux. Les conseils de l’ordre, de leur côté, organisent leur mobilisation. Des motions contre l’état d’esprit de ce rapport ont déjà été signées par les professionnels à Bobigny, à Créteil, et d’autres sont en cours à Lyon, ou encore à Toulouse. La colère est d’autant plus grande que le document met directement en cause certains comportements. Des avocats sont accusés de voir dans ce « contentieux plutôt simple techniquement et répétitif une source lucrative de revenus ».
Cette critique est sans doute exagérée, mais pas sans fondement, témoigne Joseph Krulic, de l’Association française des juges de l’asile (Afja), qui constate que sept ou huit avocats se sont arrogé la meilleure partie des 37 000 affaires traitées à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) en 2012. « Ces cas sont réglés entre 600 et 3 000 € le dossier, et les avocats les plus habiles peuvent traiter jusqu’à 1 000 dossiers par an. Faites le calcul: il s’agit d’un vrai marché », explique le magistrat. « Certains sont dans une situation de monopole telle qu’ils obtiennent le droit de ne pas être convoqué tel ou tel jour pour ne pas avoir à se faire remplacer », poursuit-il. Gilles Piquois, après vingt-cinq ans de carrière, fait partie des grands avocats à la CNDA: « Je fais beaucoup d’affaires, c’est vrai, mais je ne peux pas faire autrement car il y a trop de dossiers à traiter. J’en refuse déjà beaucoup pour les laisser à mes confrères », se défend-il, regrettant que l’inspection générale n’ait consulté aucun ordre pour réaliser son rapport.
« Les avocats qui tirent avantage de la multiplication des procédures, c’est un épiphénomène », observe Stéphane Maugendre, président du Gisti, association prêtant une assistance juridique aux migrants. Pour cet avocat au barreau de Bobigny (Seine-Saint-Denis), l’administration est la première responsable de la situation dans laquelle elle se trouve. « Il y a quelques années, il existait encore une commission du titre de séjour dans chaque département pour éviter que les dossiers comportant des anomalies flagrantes n’arrivent devant les tribunaux, mais cette dernière a été supprimée », déplore-t-il.