19/01/2016, RESF Réseau Éducation sans frontières
Rob Lawrie condamné pour avoir voulu aider une enfant Afghane de 4 ans à passer en Angleterre. Condamnation symbolique, mais vraie condamnation. Le gouvernement et les députés PS n’ont pas eu le courage de d’abolir le délit de solidarité et chez les magistrats, la volonté d’être clair est… variable. Certains sont courageux et prononcent des relaxes. D’autres, moins.
Rob Lawrie a été condamné à 1000 € d’amende avec sursis par le tribunal correctionnel de Boulogne sur Mer pour « mise en danger de la vie d’autrui »… Autant dire rien et, en même temps, beaucoup trop !
Cet ancien militaire britannique de 49 ans, père de quatre enfants, patron d’une petite entreprise de nettoyage, avait été ému par la photo du corps du petit Aylan sur une plage turque. Il avait alors décidé de se rendre régulièrement à Calais pour apporter son aide aux réfugiés que les gouvernements français et britanniques empêchent de se rendre en Grande-Bretagne et condamnent à vivre dans des bidonvilles indignes. Rob apportait des vêtements collectés au Royaume Uni et construisait des baraques en bois pour que des réfugiés puissent se mettre au sec.
A l’occasion de ses séjours, il avait sympathisé avec Reza Ahmadi, père afghan de Bahar, 4 ans. Il s’était pris d’affection pour la fillette. Reza lui avait plusieurs fois demandé de la faire passer en Angleterre pour qu’elle rejoigne sa grand-mère, sa tante et ses cousins installés à quelques kilomètres du domicile de Rob Lawrie. Rob refusait… jusqu’à ce que le 24 octobre, il cède. Reza et Rob installent la fillette endormie dans une mini-couchette au-dessus de la cabine de la camionnette de telle façon que l’enfant ne puisse pas tomber.
Lors du contrôle à l’embarquement du ferry vers 23h30, les chiens policiers décèlent la présence de deux hommes montés dans le véhicule sans que Rob s’en aperçoive. Les deux Erythréens et le Britannique sont interpellés et conduits au poste de police. Au bout d’une heure et demie de garde à vue, craignant que Bahar se réveille, seule, dans le froid et le noir, Rob informe les policiers de sa présence. D’abord confiée à l’hôpital, l’enfant est ensuite rendue à son père. Même si les deux Erythréens ont reconnu avoir embarqué à son insu, Rob est considéré comme un passeur pour avoir tenté de mener Bahar en Grande-Bretagne. Il est emprisonné 5 jours puis libéré sous caution. Mis en examen pour aide au séjour irrégulier d’un étranger, il risque cinq années de prison et 30 000 € d’amende.
Dès qu’elle est connue et dénoncée par les associations de soutien aux migrants, l’affaire fait scandale ! La pétition demandant l’abandon des poursuites contre Rob Lawrie recueille en quelques semaines plus de 125 000 signatures en France et 50 000 en Angleterre.
Le 14 janvier au matin, une douzaine de caméras, des dizaines de journalistes dont beaucoup de britanniques, se pressent dans la salle paroissiale où Rob arrive pour une conférence de presse avec la petite Bahar dans les bras.
Le procès a lieu en début d’après-midi. Policiers nombreux et polis, procureur siégeant en personne, autorisation à la horde de caméras de faire quelques images, près de 150 personnes dans la salle d’audience, certaines debout ou assises par terre, la séance du TGI de Boulogne sur Mer du 14 janvier n’est pas tout à fait ordinaire. Parmi les soutiens, de nombreux militants et responsables d’associations d’aide aux réfugiés parqués dans les bidonvilles de toute la région, dont l’Auberge des migrants, la Plateforme de services aux migrants, Terre d’errance mais aussi le directeur d’Habitat et citoyenneté, l’association niçoise dont une militante a été condamnée le mois dernier à 1500 € d’amende pour avoir transporté deux jeunes Erythréens (15 et 22 ans !) de la gare de Nice à celle d’Antibes.
Le président mène son affaire efficacement. Interrogatoire d’identité du prévenu, sa personnalité, les faits. Mais, curieusement, il s’appesantit sur les conditions matérielles du transport de Bahar, pose des questions sur les dimensions de l’habitacle dans lequel elle se trouvait, la façon dont il était fermé, les risques en cas d’accident, avant de lâcher au détour d’une phrase qu’il ne s’interdit pas de requalifier le délit en « mise en danger de la vie d’autrui » moins lourdement sanctionné que l‘aide au séjour d’un étranger en situation irrégulière.
Christian Salomé président de l’Auberge des migrants apporte son témoignage sur les conditions de vie lamentables dans la jungle mais aussi sur la difficulté pour ceux qui y interviennent de « rester insensible à cette misère, de leur donner à manger, de les laisser là et de repartir ». Il comprend le geste de Rob. Le président du GISTI, Stéphane Maugendre, trace un historique du délit de solidarité et signale que la loi du 31 décembre 2012 ne l’a en rien supprimé mais simplement aménagé. Il soutient le geste de Rob.
Dans son réquisitoire, le Procureur Jean-Pierre Valensi caricature l’attitude de la Justice dans ces affaires. Il commence naturellement par se déclarer sensible aux raisons qui poussent à l’exil, les guerres, les violences, l’espoir d’une vie meilleure. Il se dit également sensible à ce qui se passe dans la jungle, il partage l’émotion que cela suscite. Bref, le Procureur est un humaniste généreux. Mais, corrige-t-il aussitôt, il n’appartient pas à l’institution judiciaire de porter une appréciation sur ces affaires. Son rôle est d’appliquer les textes. Fermez le ban. Une attitude qui, en d’autres temps, a permis des actes inadmissibles. Au-delà des exemples qui viennent immédiatement à l’esprit, on peut en citer qui ont été le fait de régimes démocratiques. Par exemple les décisions de magistrats américains emprisonnant Rosa Parks, Américaine noire « coupable » de s’être assise sur un siège légalement réservé aux blancs. Ou, en France, la mise aux arrêts de rigueur du général Paris de la Bollardière « coupable » d’avoir dénoncé la torture en Algérie sous un gouvernement de gauche.
S’appuyant sur la prétendue abolition du délit de solidarité, le procureur justifie les poursuites, en admettant que certes Rob n’a reçu aucune rétribution mais que la loi limite les aides possibles à la dignité des conditions de vie, aux soins médicaux et rien d’autre. Le geste de Rob n’entre pas dans ces catégories, il est poursuivi. Il est de plus coupable car il aurait pu aider Bahar d’autres façons, par exemple en l’encourageant à demander l’asile… Sa présence dans la Jungle est donc volontaire… En réalité, le Procureur joue sur les mots. Les conseils qu’il prodigue auraient pu éventuellement s’appliquer au père de Bahar, certainement pas à une enfant de 4 ans. Or, c’est bien l’enfant que Rob a tenté d’aider. Si son père s’était trouvé dans la camionnette, seul ou avec sa fille, nul doute que la justice se serait dispensée de ces arguties et que Rob aurait été jugé comme l’un des passeurs que le procureur se vante de faire condamner par dizaines chaque année.
Sentant la fragilité de son argumentaire, le Procureur ouvre une autre voie de condamnation : les conditions dans lesquelles Bahar a été transportée ne seraient pas dignes et elles l’ont mise en danger. Il fait une description volontairement dramatisée de la cache dans laquelle l’enfant était, faisant mine de s’inquiéter pour sa santé. Elle n’avait ni ceinture de sécurité, ni rehausseur assure-t-il, insinuant que Rob a mis « la vie d’autrui en danger »… Ce qui provoque des huées dans la salle. Il demande une condamnation à 1000 € d’amende pour mise en danger de la vie d’autrui si l’aide au séjour irrégulier n’était pas acceptée.
L’avocate, Me Lucile Abassade commence par récuser les arguments sur la taille de la cache en disant qu’il arrive que Rob –qui est costaud—y dorme, qu’elle pouvait s’ouvrir de l’intérieur et que le voyage devait être court.
Concernant les poursuites au titre de l’aide au séjour, elle rappelle qu’une enfant de 4 ans, comme tout mineur, n’est ni étranger, ni en situation irrégulière. L’infraction d’aide au séjour d’un enfant n’existe pas. Rappelant que la loi sur le délit de solidarité aurait dû être faite pour protéger Rob et ses pareils, elle conclut en disant que Rob Lawrie a déjà chèrement payé cette affaire dans sa vie privée et dans sa vie professionnelle et elle demande la relaxe.
Après une demi-heure de délibéré, le jugement est rendu : 1 000 € d’amende avec sursis pour « mise en danger de la vie d’autrui ». La salle, debout, applaudit… à l’exception de quelques militants, dont Nan Suel, qui protestent avec véhémence. La co-présidente de Terre d’Errance avait témoigné de façon émouvante lors de la conférence de presse, signalant que les bénévoles de son association mais aussi des habitants de Norrent-Fontes transportent quotidiennement des réfugiés… et sont potentiellement coupables.
Cette double appréciation du verdict se comprend : les uns se réjouissent légitimement de voir le risque d’une condamnation lourde de Rob écarté au profit d’une peine qui n’en est pas vraiment une. Les autres dénoncent l’hypocrisie de cette sanction qui, même si elle est très légère, reste une condamnation et une perpétuation du délit de solidarité.
Cette situation est d’abord le produit de la veulerie du gouvernement qui, loin de proposer une loi supprimant réellement le délit de solidarité, s’est contenté de quelques formulations vagues qui laissent la porte ouverte aux condamnations… la preuve ! Elle est aussi la conséquence d’un manque de courage chez certains magistrats. Soit Rob Lawrie et Claire Marsol condamnée à 1500 € d’amende par le TGI de Grasse pour avoir transporté deux Erythréens, sont des délinquants et il faut assumer d’appliquer les textes et les condamner à de tout autres peines que quelques centaines d’€ d’amende, avec sursis en plus. Soit ils ont eu les gestes de solidarité, ceux que tout le monde devrait avoir, et non seulement ils ne doivent pas être condamnés mais ils doivent être félicités. La décision du TGI de St-Etienne relaxant un prêtre qui avait accueilli des demandeurs d’asile dans son église en dépit d’un arrêté municipal l’interdisant témoigne de ce qu’il existe des magistrats cohérents et courageux.
Quant à la requalification de l’accusation contre Rob Lawrie d’aide au séjour d’un étranger (de 4 ans !) en « mise en danger de la vie d’autrui », elle est aberrante. Voilà une enfant qui vit dans la boue, dort sous la tente, mange et se lave on ne sait comment, etc… et des magistrats font mine de s’inquiéter de ce qu’elle ait parcouru quelques kilomètres sans ceinture de sécurité et sans rehausseur. Que ne poursuivent-ils pas ceux lui imposent de telles conditions de vie, la laissent dans le dénuement extrême alors que l’actuel quinquennat devait être celui de la jeunesse ? Que ne s’en prennent-ils pas aussi aux lois –et à ceux qui les appliquent y compris quand leurs décisions ont des conséquences inhumaines- qui font végéter des milliers et des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants dans les conditions indignes de la Jungle et tout risquer chaque jour pour se rendre là où ils espèrent refaire leur vie ?
Monsieur le Procureur Jean-Pierre Valensi avait conclu son réquisitoire d’un vigoureux « La fin ne justifie pas les moyens ». Peut-être gagnerait-il à se l’appliquer à lui-même ?
Richard Moyon