Ixchel Delaporte, 15/12/2014
La cour d’appel de Rennes a confirmé, vendredi, le non-lieu dans l’affaire du retraité algérien, mort après son interpellation policière.
«Ali Ziri aurait pu être mon père », lâche Omar Slaouti, professeur de physique et membre du collectif Vérité et justice pour Ali Ziri. Ce retraité algérien de soixante-neuf ans faisait de fréquents allers -retours entre son village natal d’Ouled Rached et sa chambre de 7,50 mètres carrés du foyer ex-Sonacotra d’Argenteuil (Val-d’Oise). Le 9 juin, Ali Ziri et son ami Arezki Kerfali sont arrêtés, avenue Jeanne-d’Arc à Argenteuil, par trois jeunes policiers. Ali, assis côté passager, proteste. Le ton monte. Les deux hommes, un peu éméchés, se retrouvent face contre terre, menottés puis embarqués dans la voiture de police en direction du commissariat. À l’arrière, un des policiers exerce sur Ali Ziri une méthode de contention non autorisée par les règles d’intervention de la police. À l’arrivée, il est violemment extrait du fourgon. Son crâne percute le sol. Il pèse « lourd », dira un policier. Gardé à vue pendant quelques heures, il est finalement transporté à l’hôpital, où il décède deux jours plus tard.
Les carences de l’instruction
Que s’est-il passé entre le contrôle de police, l’arrivée au commissariat et le transfert à l’hôpital ? Comment est-il mort ? Qui a tué Ali Ziri ? Un flot de questions lancinantes qui hantent, depuis cinq ans, ceux qui se battent pied à pied pour éclaircir les circonstances de cette mort. Vendredi dernier, une fois de plus, le parquet de Rennes a prononcé un non-lieu, malgré les carences manifestes de l’instruction. « C’est une lecture partiale du dossier que nous regrettons. Quand un décès survient dans les mains de la police, il faut une transparence maximale. Or, ici, l’instruction n’a ni procédé à l’audition des policiers en cause, ni reconstitué les faits. Nous allons à nouveau nous pourvoir en cassation et s’il le faut nous mènerons l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme », assure Stéphane Maugendre, l’avocat de la famille.
D’usage disproportionné de la force, c’est bien de cela qu’il s’agit. Et, sur ce point, le collectif n’a jamais lâché. Alors que police et gendarmerie ont refusé le dépôt de plainte de la famille, les militants parviennent, en juillet 2009, à faire ouvrir, par le procureur du tribunal de grande instance de Pontoise, une information judiciaire pour homicide involontaire contre X. Deux semaines plus tard, l’affaire est classée sans suite. La famille se constitue partie civile et réclame une nouvelle autopsie. La première concluait à une mort naturelle. Les deuxième et troisième, pratiquées par l’Institut médico-légal de Paris en 2010, relèveront vingt-sept hématomes, confirmant qu’« Ali Ziri est mort suite à un arrêt cardio-circulatoire d’origine hypoxique, généré par suffocation et appui postérieur dorsal ». Deux ans après, une plaque à la mémoire du retraité est posée sur les lieux de l’arrestation. Aussitôt retirée sous la pression des syndicats de police et du ministère de l’Intérieur. La même année, l’ex-CNDS (Commission nationale de déontologie de la sécurité) considère que les policiers ont fait « un usage disproportionné de la force » avec « un traitement inhumain et dégradant ». Qu’importe. En janvier 2012, le procureur de Pontoise requiert un non-lieu, confirmé en octobre 2012 par la cour d’appel de Versailles.
Malgré ces revers judiciaires, c’est sans relâche que chaque année, depuis cinq ans, le collectif Vérité et justice pour Ali Ziri rend hommage à cet immigré algérien, arrivé en France en 1959, pour travailler comme manutentionnaire. « C’était un chibani parmi tant d’autres, qui tapait le domino au café le week-end. Il ne sortait jamais sans sa cravate. Toujours bien habillé et serviable. Au foyer, il faisait écrivain public car il savait lire et écrire », raconte Arezki Semache, une des chevilles ouvrières du collectif. « Entre son arrestation et son décès, il y a plein de points d’interrogation et un immense sentiment d’injustice », poursuit Omar Slaouti.
Une forte mobilisation citoyenne
Pour les chibanis d’Argenteuil, la mort d’Ali Ziri demeure insoutenable. « La police voulait le passeport d’Ali. Il était hors de question de le donner pour étouffer l’affaire. C’est une question de dignité », s’emporte Arezki Semache, originaire du village kabyle d’Ouled Rached. Dès le 15 juin, une première réunion d’urgence rassemble des militants associatifs, des résidents du foyer de travailleurs et des proches. Le collectif prend forme. « Je suis issu d’un père immigré qui ne m’a pas vu grandir parce qu’il a travaillé en France toute sa vie pour me nourrir. Je ne pouvais pas me taire. » Le 24 juin, une manifestation rassemble mille deux cents personnes à Argenteuil pour rendre hommage au retraité et réclamer justice. « C’était une marche silencieuse et digne. Ça a été un choc pour la ville », souligne Luc Decaster, cinéaste, membre du collectif, qui a filmé la mobilisation citoyenne (1). C’est cette manifestation-là qui a fait descendre dans la rue Élise Languin, professeur d’histoire à la retraite. « Je faisais du soutien scolaire à l’ATMF (Association des travailleurs maghrébins de France) d’Argenteuil. Mais je n’avais jamais entendu parler d’Ali Ziri. Quand j’ai vu passer toutes ces personnes, j’ai rejoint le collectif. Je n’arrive toujours pas à imaginer que deux retraités de soixante et un et soixante-neuf ans aient pu subir un tel déchaînement de violence. Comment les jeunes policiers, qui avaient moins de vingt-cinq ans au moment des faits, ont-ils pu se sentir menacés ? C’est insensé. »
(1) Luc Decaster a réalisé un film, Qui a tué Ali Ziri ?, dont la sortie est prévue en 2015