La petite phrase de trop dans un été passé sur le devant de la scène médiatique ? À l’occasion du séminaire gouvernemental consacré, lundi, à la France en 2025, Manuel Valls a rouvert le dossier de l’immigration. Le ministre de l’Intérieur estime que les politiques migratoires devront être questionnées et notamment celle du regroupement familial.
Au-delà des réactions politiques, les associations de défense des droits des étrangers s’étonnent de voir cette question revenir sur le tapis. « Valls fonctionne comme Sarkozy, observe Stéphane Maugendre, président du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti). Il lance une idée sans rien en dire de concret, c’est un test car tout le monde suppute. «
Les juristes s’étonnent d’autant plus que le regroupement familial est « un principe général du droit français conforté par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme sur le droit à une vie privée et familiale », observe Anaïs Leonhardt, avocate membre de la commission Droit des étrangers du barreau de Marseille. Si le principe ne peut pas être remis en cause, la loi peut en rendre l’application plus difficile. Depuis le milieu des années 1970, décrets et circulaires ont durci les critères du regroupement familial.
Une procédure lourde
L’étranger souhaitant faire venir sa famille doit résider depuis dix-huit mois de manière légale en France, disposer de ressources – hors aides sociales – équivalentes au SMIC pour un foyer de deux ou trois personnes et même plus selon le nombre d’enfants. L’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) qui instruit les demandes – la procédure dure au moins douze mois – passe au crible l’appartement. Il faut une superficie de 24 m2 pour un couple, plus 10 m2 par enfant. Et l’administration est intransigeante ; on l’a vu refuser le titre de séjour pour une aération manquante dans l’appartement par exemple.
Le tribunal administratif de Marseille a récemment annulé une décision de refus de regroupement familial déposé par un retraité souhaitant faire venir son épouse au motif qu’il lui manquait… 30 € de revenus mensuels.
Le faible nombre de titres de séjour délivrés, en France, au titre du regroupement familial, atteste de la lourdeur de la procédure. « Mais, observe Stéphane Maugendre, c’est la tarte à la crème parce que ça tape à l’imaginaire collectif : qui dit regroupement familial dit immigration subie, dit que des familles étrangères vont toucher des allocations familiales, etc., etc. ».
Les associations estiment que plus les conditions du regroupement familial sont durcies, plus cela pousse les familles à recourir à la clandestinité. Tous s’étonnent qu’un ministre de gauche vienne remettre en cause un droit accordé par un président de la République de droite. C’est en visitant des bidonvilles à Marseille et La Ciotat qu’au milieu des années 1970, Valéry Giscard d’Estaing avait invité le rapprochement familial pour lutter contre l’extrême isolement des travailleurs immigrés.
Dans la région, un habitant sur dix est un immigré
En Provence-Alpes-Côte d’Azur, un habitant sur dix est un immigré. C’est-à-dire une personne « née étrangère dans un pays étrangerJ’. Une définition donnée par l’Insee, qui ne signifie pas pour autant qu’un immigré restera « étranger » toute sa vie. Il pourra en effet acquérir la nationalité française. Cependant, même devenu Français, il restera un immigré.
Selon l’Insee Paca qui, en octobre 2012, a présenté une étude sur le sujet, elles sont 482 800 personnes immigrées à vivre sur notre territoire. Soit 9,9% de la population. C’est davantage que la moyenne de la France métropolitaine (8,5%), mais c’est bien moins qu’lie de France (17,6%) et un peu moins que la région Alsace (10,4%). 42% de cette population immigrée est originaire du Maghreb (Algérie, Maroc, Tunisie). Alors que 39% sont natifs du continent européen. Dans ce dernier ensemble, seuls 4% ne sont pas des ressortissants des 27 pays de l’Union européenne. La communauté la plus nombreuse est celle des Algériens, avec 84 000 ressortissants, soit 18 % de la population immigrée de Paca. La seconde est celle des Marocains (66 400 personnes). Enfin, issus de vagues plus anciennes, la communauté italienne (59 300 personnes, 12% de la population régionale).
48% ont un diplôme égal ou supérieur au bac
Conséquence du temps de présence requis sur le territoire (18 ans, 12 ans pour un Algérien), des choix et des mécanismes d’intégration ont joué au fil du temps : 45% de cette population, soit 4 points de plus que la moyenne nationale, a acquis la nationalité française. In fine, sur les 482 000 immigrés recensés par l’Insee, 216 000 sont devenus des ressortissants Français.
Comment évolue l’immigration régionale ? L’Insee estime dans son étude que depuis 1975, la population immigrée progresse moins vite en Paca qu’au niveau national.
Mais en fait, deux périodes sont distinguées. Jusqu’en 1999, elle a diminué. Après, la progression a repris à un rythme annuel un peu plus élevé que celui national. C’est durant cette dernière période que sont arrivés 30% des immigrés qui habitent actuellement ici.
L’Insee indique que ces « nouveaux immigrés » sont pour 35% originaires de l’Europe et pour 38% du Maghreb. 48% de ces arrivants ont moins de 30 ans et contrairement à une idée reçue, 48% ont un diplôme égal ou supérieur au bac. Mais 35% d’entre eux sont aussi sans diplôme, un taux très supérieur à celui de la population régionale (19%).
Faut-il alors être sélectif ? « Parler d’immigration sans être positif, en étant frileux, est une erreur. Je pense en revanche qu’il faut être ouvert aux autres, mais en étant réaliste », répond le professeur Jean-Louis Reiffers, auteur de plusieurs analyses sur l’économie de la Méditerranée.
Pour 3 m2, Sébastien ne peut pas vivre en famille
Sébastien, un Camerounais âgé de 38 ans, s’est vu refuser son regroupement familial par la préfecture des Bouches-du-Rhône. Il souhaite tout naturellement vivre avec son épouse et ses deux filles âgées de 13 et 17 ans. Employé du bâtiment à Marseille, il a d’abord travaillé en intérim durant de longues années donnant tellement satisfaction à l’entreprise où il était affecté que le patron l’a embauché en CDI. Sa carte de résident – valable dix ans – en poche, il a déposé, en 2011, sa demande de regroupement familial.
Son dossier financier est bon, tous ses bulletins de salaire y sont. Ses ressources sont suffisantes à faire vivre sa famille . Mais au bout du compte, sa demande a été rejetée au terme de l’enquête de l’Office français de l’immigration et de l’intégration. Motif : il manque 3 mètres carrés à son logement. Le sien, dans un immeuble de qualité, répondant à toutes les normes de salubrité et d’habitabilité, mesure 41 m2 quand les textes lui en réclament 44 m2. Et, cerise sur le gâteau, une aération fait défaut dans sa cuisine. « On exige toujours plus des étrangers que des nationaux », observe son avocate Me Betty Khadir-Cherbonel qui a saisi le tribunal administratif. Selon elle, c’est « un moyen déguisé de faire obstacle » à l’introduction de la famille de Sébastien à Marseille. Mais quoi qu’il en soit, l’administration semble avoir gagné. En cas d’annulation par les juges du refus préfectoral, il faudra refaire une demande. D’ici là, la fille aînée de Sébastien aura eu 18 ans, or le regroupement familial ne concerne que les enfants mineurs.
Les liens de Sébastien avec son épouse et ses deux filles se résument depuis des années à Skype et à un voyage par an au Cameroun. « Mais à quel titre, questionne l’avocate, impose-t-on à ce salarié exemplaire un tel isolement, la solitude, l’impossibilité de voir ses enfants grandir ? Cet éloignement fracture les liens familiaux. Et à quel titre prive-t-on deux enfants de leur père ? »
L’absence de famille et la vie passée entre deux pays sont sources de dérive, parfois de maladie. C’est le cas des Chibanis, ces vieux travailleurs qui ont passé quarante ans en France et qui, à l’heure de la retraite, y demeurent. Au motif principal – c’est le cas des Algériens – que le versement de la retraite à l’étranger entraîne la réduction de son montant. « Leurs liens se sont distendus avec des enfants qui ne connaissent pas leur père. Eux n’arrivent pas à vivre là-bas, détaille Me Khadir-Cherbonel. C’est une mort lente ».