Un projet de loi, présenté vendredi en Conseil des ministres, prévoit de remplacer la garde à vue des sans-papiers, devenue illégale, par une « retenue » pouvant aller jusqu’à seize heures, un « régime d’exception » vivement décrié par les associations.
Le texte abroge par ailleurs « le délit de solidarité » pour les personnes aidant de manière désintéressée un étranger en situation irrégulière, une mesure essentiellement symbolique qui a, elle, été saluée par les militants des droits de l’Homme.
Le projet de loi sera présenté à la commission des Lois au Sénat vers la mi-octobre pour une adoption idéalement avant la fin de l’année.
Le nouveau système de « retenue » en commissariat ou gendarmerie sera mis en oeuvre par un officier de police judiciaire (OPJ) sous contrôle du procureur de la République, qui peut y mettre un terme à tout moment.
Pendant les seize heures, l’étranger aura droit à un avocat, à un médecin, à l’aide juridictionnelle et peut contacter une personne de son choix, selon le texte.
« Ce n’est pas un outil de punition mais d’efficacité », a déclaré le ministre de l’Intérieur Manuel Valls à la presse. Selon lui, il s’agit de pallier un « vide juridique ».
Depuis une décision de la Cour de cassation le 5 juillet interdisant de placer en garde à vue les sans-papiers, les forces de l’ordre ne pouvaient retenir les étrangers plus de quatre heures, délai maximal prévu par la procédure de vérification d’identité.
« C’est tout à fait insuffisant », notamment « pour que les préfectures puissent prendre des décisions solides et argumentées avant de lancer des procédures d’éloignement du territoire », a jugé M. Valls.
La décision de la Cour de cassation découlait d’un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) de décembre 2011, affirmant qu’un étranger en séjour irrégulier ne pouvait être emprisonné sur ce seul motif.
Or, la réforme de la garde à vue au printemps 2011 a limité son recours aux personnes soupçonnées d’infraction passibles d’une peine d’emprisonnement.
« Régime d’exception »
Celles-ci déploraient vendredi la mise en place d’un « régime d’exception ».
« Le gouvernement est en train de créer un nouveau système privatif de liberté spécifique aux migrants… On sort du droit commun », a regretté David Rohi, membre de la Cimade. « Au lieu d’effectuer un changement de cap vers moins d’enfermement, on retient une volonté de rafistoler le dispositif existant », a-t-il ajouté.
Le Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti) a également critiqué la durée de cette retenue. « Qu’on ne vienne pas me dire qu’avec les moyens modernes, dont les fichiers, il n’y a pas moyen de faire des vérifications d’identité en 4 heures ? », a estimé son président Stéphane Maugendre. « En fait, 16 heures, c’est du confort pour pallier les carences de l’Etat en terme de moyens », a-t-il jugé.
Le délai a été arrêté après un arbitrage de Matignon cet été, a rétorqué le ministre de l’Intérieur.
« C’est un plafond » rendu nécessaire par des « difficultés objectives », a-t-il ajouté, en citant les temps de transport ou la nécessité de pouvoir retenir les étrangers en cas d’interpellation le soir ou le week-end. « Je ne veux pas prendre le risque d’un travail bâclé », a-t-il encore justifié.
Les associations se sont en revanche réjouies de l’abrogation du délit d’aide à l’entrée ou au séjour irrégulier, passible de 5 ans de prison et 30.000 euros d’amendes, quand l’aide fournie est désintéressée.
« Il n’y avait pas forcément de condamnations à ce titre, mais dans les pratiques policières, ça permettait de mettre la pression » sur les militants, a relevé Stéphane Maugendre.