Jean-Baptiste François, 3/2/12
La Cour européenne des droits de l’homme a sanctionné hier la législation française, qui autorise le renvoi d’un demandeur d’asile à l’issue d’une procédure accélérée, même s’il a enclenché un recours contre son expulsion. La multiplication des décisions de justice européenne contraint la France à modifier ses procédures de reconduite à la frontière des étrangers.
La décision sera sans doute lourde de conséquences. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a estimé hier, dans une affaire concernant un Soudanais, qu’un étranger sollicitant une protection ne peut être éloigné du territoire avant que la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) n’ait eu le temps d’examiner le risque qu’il encourt en revenant au pays. Une victoire pour les associations qui militent depuis plus de cinq ans en faveur d’un traitement plus équitable.
Depuis 1992, la France utilise une procédure dite « prioritaire », dans laquelle le demandeur d’asile peut être expulsé alors même que sa demande est en cours. À l’origine pensée pour éviter les requêtes frauduleuses, cette disposition s’est peu à peu étendue aux pays pour lesquels la France estime qu’il n’y a plus de risques de persécution. Si bien que, sur 40000 personnes ayant effectué une demande d’asile en 2010, 27 % étaient concernées par cette procédure. C’est ce procédé qui a été, hier, condamné par la CEDH.
« La France va devoir modifier la loi pour se mettre en conformité avec les règles européennes et, en attendant, les défenseurs des étrangers vont pouvoir faire libérer plusieurs milliers de personnes », analyse le juriste Serge Slama, expert du droit des étrangers. Selon lui, l’État ne devrait toutefois pas en venir à supprimer le dispositif prioritaire, mais plutôt à instaurer une procédure accélérée devant la CNDA. « Ce serait une garantie supplémentaire pour le respect des libertés fondamentales des demandeurs », anticipe l’universitaire.
Dernièrement, les juridictions européennes ont multiplié les décisions qui remettent en question les politiques migratoires de la France. Mi-janvier, la cedh avait estimé que « la rétention de jeunes migrants accompagnés de leurs parents dans un centre inadapté aux enfants était irrégulière et contraire au respect de la vie familiale ». Pourtant, deux enfants serbes de 4 et 6 ans ont été placés, avec leurs parents, mardi dernier au centre de rétention du Mesnil-Amelot en Seine-et-Marne, dénonçait mercredi la Cimade.
En avril dernier, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) interdisait par ailleurs l’incarcération – et par conséquent la garde à vue – des sans-papiers qui refusent d’être reconduits à la frontière. Une décision à laquelle s’oppose toujours la chancellerie. Aujourd’hui, le Conseil constitutionnel devra trancher. Les sages, saisis dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), diront si des étrangers peuvent être mis sous les verrous du simple fait qu’ils sont en situation irrégulière. Selon le président du Gisti (Groupe d’information et de soutien des étrangers), Stéphane Maugendre, 200 peines d’emprisonnement ferme seraient prononcées chaque année en France pour cette simple raison.