Les avocats redoutent de ne plus pouvoir défendre les démunis

  05/06/2014

Les audiences au tribunal devraient être perturbées aujourd’hui. Les avocats qui interviennent dans le cadre de l’aide juridictionnelle vont demander le renvoi des affaires. Partout en France, les robes noires sont en grève aujourd’hui, pour rappeler au gouvernement, alors que des arbitrages budgétaires sont sur le point d’être rendus, que l’aide juridictionnelle (AJ), [ tout citoyen qui a de faibles ressources peut bénéficier d’une prise en charge partielle ou totale des frais de justice (avocats, huissier) par l’Etat, NDLR], ne peut pas fonctionner sans le doublement des crédits.

En Seine-Saint-Denis plus qu’ailleurs les enjeux sont cruciaux : 75 % des affaires relèvent de l’aide juridictionnelle.

La question n’est pas nouvelle, comme en témoignent deux grosses grèves en 1991 et 2001, mais elle se repose à chaque fois de manière plus aiguë. « De plus en plus de personnes sont éligibles à l’aide juridictionnelle et ce régime s’étend à de plus en plus de missions de l’avocat », explique Jean Touzet du Vigier, avocat à Bobigny.

Comparution de reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), gardes à vue… L’indemnisation des avocats est calculée en fonction du type d’affaire et selon des unités de valeur dont le montant est différent d’un barreau à l’autre.

Pour une même affaire, un avocat sera moins indemnisé à Bobigny qu’à Paris. Tous le disent, rapportée au nombre d’heures passées, l’indemnisation d’un avocat avec l’AJ c’est moins que le Smic. « Pourtant notre responsabilité professionnelle est engagée de la même manière qu’on soit payé ou indemnisé », précise Anna Sarfati.

Au barreau du 93, on estime que 450 avocats sur 550, font de l’aide juridictionnelle, dans des proportions variables. Avec des indemnisations très faibles et, de plus, à retardement, certains ont fait le choix de renoncer à cette défense. « Quel salarié accepterait d’être payé avec trois ans et six mois de retard ? » interroge Ariana Bobetic, qui a choisi de ne plus faire d’Aide juridictionnelle qu’exceptionnellement. « Sinon, je mettais la clé sous la porte », assure l’avocate qui a prêté serment il y a treize ans.

Sans revalorisation de l’indemnisation, c’est le principe d’équité même des droits de la défense qui est atteint. « Notre volonté est de pouvoir continuer à défendre de la même manière avec les mêmes moyens, les riches et les pauvres, or là le fossé se creuse », illustre à son tour Stéphane Maugendre, coordinateur référent des avocats qui assurent l’aide juridictionnelle d’urgence devant le tribunal correctionnel de Bobigny et les juges d’instruction.

« Il faut bien comprendre que la défense d’urgence ne concerne pas que le voleur, mais tout le monde, tous les jours, poursuit-il. Des gens qui pour la plupart n’ont pas de casier et sont en garde à vue pour la première fois de leur vie, pour une embrouille avec un conjoint, une conduite avec de l’alcool après un pot, un défaut d’assurance parce qu’on a un peu trop tardé à payer… et c’est très important de rappeler que ça vaut aussi pour les victimes. »

La grève pourrait durer dans le temps. Tout dépendra de ce que décideront les avocats réunis en assemblée générale ce matin.

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