Nadira Bitach, trente-sept ans, comparaissait depuis lundi devant la cour d’assises de Bobigny pour avoir, en 1993, tenté d’assassiner par le feu la petite amie de son frère.
CET après-midi-là, une photographie circule entre les mains des jurés de la cour d’assises de Seine-Saint-Denis. « Odile était la plus jolie fille de la cité », sont venus leur dire les habitants de la cité Gagarine de Romainville. Une longue fille brune de mère française et de père antillais, qui, à seize ans, débordait d’énergie. Comme Odile Mansfield cherchait leur regard, très vite, ils n’ont pu éviter ses grands yeux noirs. Ils ont affronté ses cicatrices pour l’écouter raconter ce soir du 18 mai 1993 où elle a définitivement perdu l’espoir de mener une vie sociale et professionnelle normale. Ce soir où Nadira Bitach, la sœur aînée de son petit ami Abdelkrim, l’a aspergée d’essence, la brûlant au troisième degré sur 39 % du corps.
Il est 21 h 30. Odile se promène dans les allées de la cité Gagarine avec deux copains. La sœur de son petit amie l’a aperçue depuis chez elle, est descendue du cinquième en courant et l’attend là, appuyée au grillage. Elle l’appelle. L’adolescente s’approche. Ses amis s’éloignent. Deux, trois minutes s’écoulent. Des hurlements de douleur. Odile raconte que Nadira a commencé à l’insulter, lui demandant de cesser de voir Abdelkrim. Comme elle se retournait pour partir, la sœur aînée l’a attrapée par les cheveux et lui a jeté de l’essence à la figure. Dans un souffle, elle s’est embrasée. Seule l’intervention rapide de ses copains permettra de la sauver.
Nadira jure qu’elle ne voulait pas la tuer, pas même la brûler. « C’est un accident », répète-t-elle, affirmant « ça me fait mal de la voir comme ça ». Elle dit : « Si je lui ai jeté l’essence que j’avais descendue dans un Tupperware, c’était pour l’obliger à m’écouter. C’est Odile qui s’est jetée sur ma cigarette. » Drôle de manière de discuter. A l’inspectrice qui l’interroge en garde à vue, Nadira explique : « La mère d’Odile me devait de l’argent. » Puis : « Depuis qu’il la fréquentait, mon frère avait changé de comportement. » Enfin : « Mon frère est musulman, je ne supportais pas qu’il soit avec une catholique, »
Mobile confus. Beaucoup ont pourtant cru trouver dans ce dernier argument l’explication de ce geste fou. Beaucoup, sauf ceux qui savent que, bien qu’issue d’une famille musulmane pratiquante, la jeune femme née en Algérie, a été baptisée à l’âge de douze ans, avant de revenir à la religion de ses parents. Odette, la mère d’Odile a très longtemps été l’unique amie de Nadira Bitach. Elle se souvient que c’est Nadira qui a présenté son frère à sa fille. Les Bitach sont une famille d’origine marocaine, plutôt aisée qui a fui l’Algérie pour s’installer à Romainville après l’indépendance. Le père a dû abandonner ses biens. Un mauvais souvenir pour Nadira, aînée d’une fratrie de sept enfants, qui parle de ses frères et de sa sœur en disant « les gosses ».
Abdelkrim, le petit frère, son « chouchou » est venu quasiment de force à la barre de la cour d’assises de Bobigny. Il lâche : « Débrouillez-vous. Pour moi, c’est compliqué. » Du coup, c’est Douniza, une sœur, qui raconte que Nadira a beaucoup « assumé », s’occupant de ses cadets, tout en poursuivant ses études jusqu’au BEP, avant de se marier avec un cousin, et de travailler six ans dans la même société. En 1988, elle perd son emploi, en même temps qu’elle découvre que son mari la trompe. « C’est là qu’elle a commencé à changer. » Dépression. Cachets. Tentatives de suicide. Agressivité- Odile cherche toujours à comprendre pourquoi, à seize ans, une femme l’a défigurée. Les psychiatres lui ont dit que « Nadira avait surinvesti son rôle d’aînée et voyait en Odile une menace de voir spolier les biens acquis par un père idéalisé ». Pour l’avocat général, « elle voulait la voir disparaître du monde parce que la mère d’Odile l’avait fait disparaître de son monde en refusant de continuer à la voir ». Nadira est donc malade. Odile devra s’en contenter. « On ne peut pas soigner l’insoignable », a soutenu Martine Bouillon, en réclamant au minimum quinze ans de réclusion criminelle. Pour Me Forster, défenseur de l’accusée, « la maladie ne se condamne pas, elle se soigne ». Et la guérison de Nadira est le seul moyen pour Odile de comprendre pourquoi. » Le verdict devait être rendu dans la soirée.