Immigration: «Depuis les années 70, toutes les lois ont été un échec»

Déçu. Quelles sont les directives européennes en matière d’immigration?

Stéphane Maugendre. En matière d’immigration, il existe trois principales directives: la «directive retour» que l’on a appelé souvent la directive de la honte (lire ici), la «directive carte bleue européenne», et la «directive sanction». Ces trois directives ne comportement pas des dispositions obligatoires, imposées aux Etats. Lorsque la directive retour propose 18 mois maximum de rétention administrative, cela veut simplement dire que les pays pour lesquels la rétention administrative est supérieure à 18 mois doivent la restreindre à 18 mois, mais cela ne veut pas dire que dans les pays où la rétention est de un mois ils doivent la remonter à 18 mois. Ces directives indiquent des minima.Eric. Ce texte transpose-t-il à la lettre les directives européennes? Ou s’en éloigne-t-il?

Eddy. En quoi le projet de loi va-t-il plus loin que la simple transposition des lois européennes? Avez-vous des exemples?

Le projet de loi ne va pas plus loin que les directives européennes. Les directives européennes ne sont qu’un prétexte pour augmenter la répression à l’égard des étrangers.


Rouill. Qu’est-ce qui justifie d’allonger la durée de rétention?

Liliane. Pourquoi le gouvernement veut-il, avec ce projet, augmenter la durée maximale de rétention à 45 jours contre 32 actuellement ? Quelle est l’idée?

Qu’est-ce qui justifie d’allonger la durée? Ma première réponse sera une pirouette: il faut demander à monsieur Besson. Notre analyse au Gisti, c’est plutôt qu’il s’agit là d’une volonté répressive à l’égard des étrangers en situation irrégulière. Prenons l’exemple d’un étranger qui doit être reconduit à la frontière. Sa reconduite effective a lieu dans la semaine, voire dans les 10 jours. Au-delà, par expérience, l’administration se trouve dans l’impossibilité de reconduire l’étranger frappé d’une mesure d’éloignement.Eddy. Quels seraient les éléments du projet de loi qui pourraient ne pas passer le «filtre» du Conseil constitutionnel?

Je ne suis pas un constitutionnaliste, mais je répondrais peut-être la question la déchéance de la nationalité française, peut-être aussi la longueur de la rétention administrative, puisque le Conseil constitutionnel s’est déjà prononcé sur cette question. Ceci dit la jurisprudence peut changer. Je pense que la durée durant laquelle un étranger n’aura pas accès au juge judiciaire – ce qu’on appelle actuellement les fameux cinq jours – peut être considérée comme une durée excessive, puisqu’il s’agit d’une privation de liberté.

Egalement, ce qu’on appelle la «zone d’attente élastique ou sac à dos» – la possibilité pour la police de créer une sorte de périmètre autour d’un étranger privé de liberté, au seul soupçon que l’étranger serait rentré récemment irrégulièrement sur le territoire français. Cette disposition a été décidée à la suite de l’affaire des Kurdes arrivés en Corse. Sur ce thème, le site du Gisti propose deux analyses du projet de loi, une analyse grand public de seize pages (pdf) et une analyse plus longue et plus technique.Aldovins. La rétention n’est-elle pas tout simplement une privation de liberté que l’on peut rapprocher d’une peine de prison, les directives de l’UE le permettent elles ?

Catoate. Quelle est la différence précise entre «rétention» et «détention», si il y en a une ?

L’administration place en rétention administrative les étrangers qu’elle veut éloigner du territoire français. Dans des lieux appelés «lieux privatifs de liberté». C’est une décision administrative décidée par le préfet, fixée pour le moment pour une durée de 48 heures, (qui pourrait être prolongée à 5 jours) et qui peut être déjà prolongée éventuellement par un juge judiciaire, le juge des libertés et de la détention (JLD).

La détention, en revanche, signifie soit qu’on a été condamné par un tribunal correctionnel, à la suite d’un délit ou d’un crime, soit lorsque l’affaire est en cours d’instruction qu’on est suspecté d’avoir commis un crime ou un délit. C’est une privation de liberté décidée par un juge judiciaire, à raison d’un acte délinquant ou de suspicion de prévision d’un acte délinquant.Juge de TA. Ce projet de loi va encore plus alourdir la charge des tribunaux administratifs (chargés de juger au fond la légalité de la mesure d’éloignement au vu not. de l’art.8 de la CEDH). Toujours plus de charges, où est la reconnaissance de notre mission de magistrat?

Je tiens d’abord à dire que je salue le travail des magistrats de l’ordre administratif. Effectivement, je pense que la frénésie du gouvernement à faire du chiffre, sa seule préoccupation, l’empêche de considérer le travail de la justice, quelle soit administrative ou judiciaire. Pour résumer, c’est le rendement au préjudice des libertés, dont les juges sont les gardiens.Rouill. Quels points vous semblent le plus dangereux?

Liliane. Quelles dispositions vous paraissent-elles êtres les plus dangereuses dans ce projet de loi ?

Lors du débat sur la loi Hortefeux, en 2006, il avait été agité le chiffon rouge du test ADN qui avait caché toutes le autres dispositions répressives à l’égard des étrangers. Il nous semble, au Gisti, inconcevable de mettre en avant aujourd’hui une disposition plutôt qu’une autre, plus la déchéance de la nationalité française que les zones d’attentes ou l’asile. C’est plutôt l’analyse globale et la philosophie de ce texte qui nous inquiète énormément. C’est la première fois, depuis l’Ordonnance du 2 novembre 1945, que l’on tente de mettre en place des régimes d’exception à l’égard des étrangers, de la même manière que l’on a tenté de mettre en place un régime d’exception à l’égard des Roms par voie de circulaire.

Eddy. Est-ce que ce projet de loi prévoit des dispositions qui pourraient viser les Roms?

Tout à fait. Ce sont les dispositions qui ont été proposées par voie d’amendement concernant les reconduites à la frontière des européens «indigents», qui ne peuvent justifier de ressources suffisantes.Liliane. La bannissement prévu pour ceux que l’on suspecte de faire des allers-retours, à commencer par les Roms, ne va-t-il pas simplement se traduire par une augmentation du nombre de clandestins?

Ce qu’on appelle le bannissement dans le «langage slogan», c’est la possibilité  de prononcer une interdiction de retour en France qui peut durer de un an et à cinq ans.Ces dispositions ne pourront pas empêcher des étrangers qui ont des attaches (familiales, sociales, etc.) avec la France de revenir. Mais ça les empêchera d’obtenir une régularisation. Par conséquent, les gens vont se clandestiniser encore plus, avec tous les effets induits que cela peut avoir en termes d’esclavagisme moderne, de travail au noir, d’actes désespérés .Yannb. Si le projet de loi Besson passe, tous les votes la directive «carte bleue européenne» va-t-elle être appliquée et que changera-t-elle pour les travailleurs étrangers ?

C’est peut-être la seule disposition positive. Mais je pense très sincèrement que ça ne changera pas grand chose. D’abord parce qu’elle ne sera pas appliquée, compte tenu des conditions d’obtention et de la politique des préfectures. Je donne en exemple: une disposition qui ressort d’une directive européenne est la carte de résident permanent. Cette carte est déjà prévue dans le Code d’Entrée et de séjour des étrangers et des demandeurs d’Asiles (Cedesa), elle existe dans les textes mais en pratique on ne la voit jamais. Donc oui, c’est «positif», mais en même temps on attend de voir son application.Rouill. Le gouvernement a rajouté des amendements pour dire que l’occupation illicite d’un terrain peut valoir une explusion. Mais ça n’existe pas déjà?Ça existe déjà, en effet. Il existe une «loi Besson» (mais pas le même) qui prévoit une procédure pour déclarer illégale une occupation de terrain par des gens du voyage. La nouveauté, c’est qu’un pouvoir plus important sera laissé au préfet.Gentil747. Pourquoi une loi de plus ?

Collibateur. Une loi sur le contrôle de l’immigration est-elle une loi nécessaire?

Bérénice. La France ne peut pas accueilir tout le monde, une loi est nécessaire, qu’en pensez-vous?

Le Gisti réfléchit, depuis de nombreuses années, sur la question de la liberté de circulation et la liberté d’installation, qui est une forme nouvelle d’appréhender les questions d’émigration et d’immigration. Cette idée n’est pas une idée de doux rêveur mais a préoccupé des économistes, des sociologues, des démographes. On estime que les choses sont tout à fait envisageables, même des gens de l’Unesco ont travaillé sur la question de l’ouverture des frontières.

Par ailleurs, on sait que toutes les lois, depuis 1974 (premier choc pétrolier), sur le contrôle de l’immigration ont été un échec. Il y aura obligatoirement une émigration des pays pauvres vers les pays riches. Ça nécessite donc de réfléchir autrement qu’en termes répressifs, ce qu’ont fait toutes les législations depuis 1974.

Juste pour répondre à l’affirmation «La France ne peut pas accueilir tout le monde », ce n’est pas la France, c’est l’Europe, c’est les autres pays riches du monde. On ne peut pas tomber dans le piège du slogan politique du style «la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde», «la France ne peut pas accueillir cinq millions de Roms», «la France ne peut pas accueillir tous les malades des pays pauvres». C’est une caricature qui n’a pour but que de faire peur, d’empêcher de réfléchir intelligemment à la question des flux migratoires.

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