Même peine pour «le tireur» et «le chauffeur». Joanna est acquittée.
La cour d’assises de Paris a condamné les deux ex-videurs de la rue Saint-Denis, Aziz Oulamara, 39 ans, et Marc Pétaux, 41 ans, à vingt années de prison pour l’assassinat de la gardienne Catherine Choukroun, le 20 février 1991, et la tentative sur le brigadier Emile Hubbel. Décomposé et livide, Pétaux, qui s’est drapé dans son «innocence» pendant les huit jours du procès et les trois ans d’instruction, a été reconnu coupable d’avoir conduit et ralenti la «petite voiture suspecte» à hauteur du véhicule de police sur la bretelle d’accès au périphérique. «C’est dingue», a-t-il dit à ses avocats en leur demandant de contester ce verdict en cassation. Désemparé, Oulamara a juste regardé ses frères et sœurs massés dans le public, qu’il a élevés comme «un papa poule» pendant les sept ans où son père était en prison pour le meurtre de sa mère. Les jurés n’ont pas admis les derniers mots d’Aziz Oulamara, qui a logé deux décharges de chevrotine dans le cou de la jeune gardienne: «Je suis pas capable de faire ça. J’avais voulu faire la peau de mon père après le meurtre de maman, j’avais tellement la haine, mais j’ai été lâche, je n’ai pas pu.»
A l’issue de huit heures et demie d’un délibéré compliqué par l’absence de preuves matérielles, les neuf jurés et les trois magistrates ont acquitté Nathalie Delhomme, 35 ans, l’ancienne prostituée, «Joanna», du crime de complicité. Elle seule avait avoué sa présence dans la voiture, mais «à l’arrière, allongée, défoncée» à cause d’un snif d’héroïne, réveillée par «le courant d’air frais» provoqué par le passager avant droit, «Jacky» Oulamara, qui remonte sa vitre après les coups de feu. Les jurés n’ont pas cru qu’elle avait lancé: «Vas-y, allume les flics!», phrase que lui imputait Oulamara. La veille, l’avocat général, Philippe Bilger, avait retenu ces mots sans trop y croire, pour étayer une complicité «dérisoire», faute de pouvoir requalifier en «non-dénonciation de crime», et il avait requis une peine indulgente de cinq ans maximum. Ainsi, l’ex-pute toxico et endurcie de la rue Saint-Denis, qui s’est extirpée du milieu et de la came pour monter une boîte de retouches à la campagne, peut retrouver Tony, son fils de 4 ans.
Le doute n’a pas profité à l’accusé Marc Pétaux, 41 ans. Il a toujours juré que le meurtre gratuit de la policière de la paix, «ce n’est pas son boulet». Avant le délibéré, son avocate, Sophie Obadia, avait tenté de démontrer que «Marco», dont le casier judiciaire révèle des délits «utilitaires et lucratifs», n’a rien d’un type qui va aller faire «un carton» sur les flics: «Justement, si Marc Pétaux avait été conducteur de la voiture ce soir-là, au côté d’Aziz Oulamara, ça ne se serait pas passé comme ça! A la vue d’un véhicule sérigraphié de police, sur la bretelle d’accès au périphérique, Pétaux aurait accéléré et détalé, lui qui cherche à éviter les condés.» Me Obadia avait contrecarré la théorie de l’avocat général qui, la veille, avait expliqué le geste gratuit d’Oulamara comme «la traduction criminelle du jeu des enfants « t’es pas cap », pour forcer l’admiration de son mentor Pétaux». L’avocate s’était énervée sur la prétendue «nécessité psychologique» de l’un avec l’autre pour commettre ce crime: «Non, Oulamara n’est pas le factotum et le chien fou de Pétaux, mais le fou de toute la rue Saint-Denis, surnommé « Jacky la Grande Bouche », pour en rajouter, se vanter.» Puis, son second avocat, Hervé Témime, avait prédit une «erreur judiciaire en cas de condamnation», stigmatisé «le tragique manque de preuves» et démonté «les charges non seulement insuffisantes, mais incroyablement discutables» contre Marc Pétaux. Il avait balayé les «rumeurs» de la rue Saint-Denis et attaqué le témoignage à charge de Serge Schoeller, «multirécidiviste repris de justice» qui, le 19 février 1991, sort pour la septième fois de prison à l’âge de 31 ans et «se souvient soi-disant à la seconde, six ans et demi après les faits, du déroulé de la journée. Tu parles!» s’était exclamé Me Témime. A ces mots, sur les bancs du public, José Da Silva, ex-souteneur de la coaccusée «Joanna», petit mac gominé, assidu pendant les huit jours d’audience, a rigolé. Il s’est tourné vers Madjid Oulamara, le petit frère d’Aziz, d’un air entendu. Yasmina Oulamara, éducatrice de jeunes enfants, qui câlinait sa fillette de 4 ans sur ses genoux, envoyait des baisers à son frère aîné Aziz, qui se trouvait bien seul dans le box des accusés. Comme il a été seul à être le coupable évident dans la fameuse «petite voiture noire» repérée après les coups de feu porte de Clignancourt. Me Témime avait semé le doute sur le véhicule suspect: une 205 Peugeot noire ou une Austin Metro? Un chauffeur de taxi et un automobiliste anonyme, tous deux témoins des faits, ainsi que les renseignements de «Madame Simone» ont aiguillé plutôt sur la voiture de «Joanna», l’Austin. Or, pour le témoin à charge Schoeller, le tandem Pétaux-Oulamara serait rentré à Saint-Ouen à bord d’une «205 Peugeot», «entre 3 h 30 et 4 h 30 du matin», alors que le crime du périphérique a eu lieu cette même nuit à 1 h 24. Le conducteur du taxi, lui, avait vu la voiture suspecte, juste après les détonations, sortir porte de Saint-Ouen, à quelques encablures de là. «Alors, ce que voit Schoeller, au mieux 2 heures et 6 minutes après le meurtre, ce n’est pas le retour des tueurs», dit Me Témime, qui avait réclamé l’acquittement de Pétaux, en vain.