Confusion hier au procès des tueurs présumés de Catherine Choukroun.
Gueules cassées de demi-sel et figures décrépies de «Madames», la cohorte brinquebalante de témoins de la rue Saint-Denis a défilé hier devant la cour d’assises de Paris pour jurer de la «moralité» d’Aziz Oulamara, 39 ans, dit «Jacky», un «brave garçon» videur «sous l’empire de l’alcool et l’influence du violent Marc Pétaux, le légionnaire [son coaccusé, ndlr]» mais qui «n’a pas pu tuer» la gardienne de la paix Catherine Choukroun, 27 ans, la nuit du 20 février 1991, sur le périphérique, Porte de Clignancourt.
«C’est pas des enfants de chœur mais ça n’en fait pas des assassins», explique Michel Marcos, alias «Patrick» qui revient sur les confidences de «Jacky», pourtant rapportées à la police et au juge. «C’est vrai qu’un soir de 95, au bar La Lune, Jacky m’a répété que Marco [Pétaux] l’avait mis dans une grosse merde. C’était notoire, les filles du 194 disaient que « le coup du périph, c’était sûrement Marco et Jacky », mais sans plus.» Sur procès-verbal, ce témoin avait prêté des paroles plus compromettantes à «Jacky» Oulamara: «Marco et moi n’avons peur de rien ni de personne, pas même des condés. On n’a plus rien à perdre, on ne craint plus rien, on a fumé une flic.»
Parano. Aujourd’hui, «Patrick» met cela sur le compte du bluff: «Il y avait beaucoup de videurs qui flambaient [se vantaient, ndlr]. C’est difficile de démêler les rumeurs. Un bruit qui part du 194 rue Saint-Denis arrive comme ça au 283», raconte le gars au nez cabossé et au bombers noir qui écarte ses larges mains pour grossir par dix la rumeur. Menuisier «d’une banlieue», alors attiré par le boulot de videur payé «600 à 700 F la soirée», il ne se considère ni «comme un voyou», ni comme un «proxénète»: «On intervenait dix fois par nuit pour protéger les filles des mabouls qui, au moment de l’acte, font une crise de parano et essayent de les étrangler.» L’avocat général, Philippe Bilger, trouve «étonnant» que ce témoin à charge ait oublié «ces propos qui ne sont pas anodins, « nous, on a fumé une flic » et qui plus est au féminin, la seule fois dans le dossier». «Patrick» Marcos avait même répété la phrase à son demi-frère Patrice Communal, lequel l’a attesté dans deux PV. Appelé à la barre, Patrice Communal, armoire à glace, veste de cuir et mine renfrognée qui, au bout de dix ans, a troqué le métier de videur contre celui de chauffeur routier, jure que non: «C’est pas ce que j’ai dit. J’ai signé les deux PV sans faire attention, ça me gonflait.» Sa déclaration antérieure, «Aziz a précisé qu’ils allaient se faire contrôler en voiture par les flics», est aussi nulle et non avenue.
Came. En revanche, «c’est vrai», les trois dans le box des accusés, Oulamara, Pétaux et «Joanna» (Nathalie Delhomme), étaient toujours fourrés «ensemble» et «allaient souvent Porte de Clignancourt ou boulevard des Maréchaux acheter de la came», mais, relativise le gaillard, «comme tout le monde». C’est pareil pour le «foulard palestinien à carreaux noirs et blancs» de «Jacky» (le seul taxi témoin des faits a vu le passager avant de la voiture suspecte avec un keffieh): «Tout le monde en portait à l’époque, c’était la mode.»
La présidente Martine Varin s’interroge sur les pressions et menaces qui pèsent sur les «balances» dans ce milieu: «Aujourd’hui, avez-vous peur de témoigner?» Patrice Communal: «J’ai pris quatre balles dans le buffet par un julot, vous savez, j’suis déjà mort. Comment voulez-vous que j’aie peur?» En tout cas, «moi j’ai déjà tiré sur quelqu’un, mais Aziz en est incapable». Des femmes retirées de la rue ont aussi incendié Simone, «la Reine de Saint-Denis», qui a dénoncé le trio à la police (lire Libération d’hier). Marie-Thérèse Barnabé, 49 ans, ex-prostituée puis taulière de la rue Saint-Denis durant seize ans, qui a employé un temps les deux videurs accusés, secoue sans cesse sa crinière poivre et sel en signe de dénégation pour dédouaner les trois «soi-disant qui auraient fait ce geste aussi moche»: «Déjà, le faire ce serait atroce mais, surtout, faudrait être fou pour aller le raconter.» Exit donc les rumeurs de la rue sur les vantardises ou vérités colportées par Aziz Oulamara. L’avocat général a insisté sur «ce mélange de peur et de quasi-mensonge» qui frappe les témoins. L’air pas commode, Marie-Thérèse Barnabé a lancé: «Ceux qui ont peur des représailles, c’est ceux qui sont venus enfoncer le clou. Mais s’ils se trompent, ben ils verront…».