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Hier a commencé le procès de Chalabi, un simulacre de procès, aboutissement d’une parodie de justice, auquel nous ne voulons apporter aucune caution. Pourquoi refusons-nous d’assister nos clients, alors que notre rôle est d’assurer leur défense? Parce que nous estimons que, si nous apportons notre soutien à ce procès inéquitable dans une affaire particulièrement sensible, nous acceptons qu’une porte s’ouvre. Cette porte, c’est celle des procédures d’exception pour des «sections spéciales» qu’aucun pays démocratique ne pourra envier à la France. En effet, près de 140 personnes vont être jugées ensemble, deux mois durant, à trois pas de la prison de Fleury-Mérogis, dans le gymnase réaménagé des surveillants de l’administration pénitentiaire, en résumé, dans une prison. Au-delà du lieu, symbole indigne d’une justice qui se confond avec celle des stades d’Amérique latine, des camps militaires turcs ou des geôles de la guerre d’Algérie, c’est le nombre des prévenus qui stigmatise une justice collective au cours de laquelle l’individu est écrasé par la nécessité de l’exemplarité.
Rappelons l’histoire de ce dossier: le risque du terrorisme, soutien d’une campagne politique, embrase un ministère de l’Intérieur, qui, à grand renfort de déclarations, annonce l’arrestation collective de terroristes et des prises d’armes, le démantèlement d’un réseau. La nécessité est née de remodeler une section de juges «antiterroristes», qualifiant ainsi non seulement les juges d’instruction d’«anti» n’instruisant plus qu’à charge, mais aussi, derechef, les personnes prises dans leur filet de présumées terroristes. Cela n’étant à l’évidence pas suffisant, le plus représentatif de ces juges était, fait inconnu dans l’histoire de la magistrature, nommé vice-président de tribunal, devenant de ce fait «le plus puissant des plus puissants hommes» de France. La machine ainsi lancée se double d’une «complicité» avec le pouvoir exécutif de notre pays. Mais la perversion du système créé ne s’arrête pas là, puisqu’il a écarté les avocats, ces empêcheurs de tourner en rond. Le discrédit est d’abord jeté sur eux, avant de les noyer dans un dossier de 50 000 pages, qu’ils ne peuvent consulter que par bribes, en fonction du calendrier du juge, sur un minuscule bureau dans un couloir, dont la copie (au cours de l’instruction) n’est établie que trois mois après la demande (à 3 francs la page, soit 150 000 francs pour la totalité du dossier, sauf si l’avocat est commis d’office). On les noie ensuite dans les méandres d’un prétendu réseau, alors que chacun s’accorde à penser que ce dossier est composé de trois dossiers, dont les connexions sont arbitraires. Ils sont ensuite noyés dans un procès-fleuve, auquel ils ne pourront assister en son intégralité.
Le machiavélisme judiciaire ne s’achève point là, puisque pour juger 140 personnes (dont 27 seulement sont détenues) pour des infractions sensibles, il faut un lieu d’exception fixé selon une procédure particulière dans le cadre d’une loi tout aussi exceptionnelle. Alors, pris au piège de cette mécanique, le législateur vote en catimini une loi d’exception l’avant-veille du 1er janvier 1998. Et, comme nous sommes à quelques mois du procès, seul Fleury-Mérogis est disponible. Le tour est joué, la loi est formellement respectée. Formellement, les droits de la défense peuvent être exercés, réellement, ils sont ignorés. Formellement, le juge d’instruction a instruit, réellement, il a accusé. Formellement, le tribunal jugera, réellement, et malgré toute sa volonté, il sera inéquitable. Lorsque les acteurs de la justice, procureur, juge d’instruction, tribunal ne sont pas à leur place, c’est la justice qui est bafouée.