Lorsqu’il est question de « double peine », les gouvernements passent mais l’attitude reste la même : on ne légifère que dans l’urgence. En avril 1981, pendant la campagne présidentielle et près de Lyon déjà, le père Christian Delorme, le Pasteur Jean Costil et Hamis Boukrouma, lui-même victime, avaient suivi un jeûne de vingt- neuf jours. «L’expulsion de délinquants étrangers a toujours été prévue dans la loi. Que l’on reconduise un trafiquant de drogue colombien qui serait venu passer quelques mois en France est légitime, reconnaît Christian Delorme, aujourd’hui membre du Haut Conseil à l’Intégration. Ce qui est en cause, dest lorsque l’on considère que des gens qui ont toute leur vie en France sont des étrangers comme les autres alors qu’ils sont, en quelque sorte, des étrangers compatriotes».
La spirale répressive en matière de double peine remonte à la fin des années 70, sous le gouvernement de Raymond Barre : la question de l’immigration irrégulière n’est pas encore posée comme un « problème » mais les reconduites à la frontières sont déjà massives et concernent alors presque exclusivement les délinquants étrangers. L’une des dix premières mesures du gouvernement Mauroy marque l’arrêt des expulsions de jeunes de la deuxième génération. Un répit éphémère. La loi Pasqua de 1986 remet en place une logique répressive. La loi Sapin du 31 décembre 1995 ouvre une période plus heureuse. Les catégories protégées d’étrangers non expulsables sont élargies à ceux qui résident habituellement en France depuis l’âge de 10 ans, depuis quinze années, aux parents d’enfants français, aux étrangers mariés avec un Français. Mais la deuxième loi Pasqua, en 1993, permet de contourner cette protection, bafouant la Convention européenne des droits de l’homme qui protège le droit de vivre en famille, en autorisant « une expulsion en urgence absolue pour atteinte à la sûreté de l’Etat ». Cette notion juridique, aux contours flous, a été maintenue dans la loi Chevènement
« Le nouveau code pénal cautionné par Robert Badinter a aussi élargi en 1994 à plus de deux cents délits les cas où l’on peut recourir à l’interdiction de territoire français, souligne Maître Stéphane Maugendre (avocat). Ces peines dites complémentaires ont toujours été présentées comme des procédures d’exception. Dans la réalité, elles concernent beaucoup trop de monde ». Sept cents dossiers urgents selon Christian Delorme, près de vingt-mille non résolus selon l’association Jeunes arabes de Lyon et banlieue (Jalb) qui accueillait dans ses locaux les grévistes. Car entre les arrêtés ministériels d’expulsion (décision administrative) et les interdictions du territoire national (décision judiciaire), une « double- peine » demeure souvent un fardeau que l’on peut traîner toute sa vie. Les recours sont longs et non suspensifs. L’assignation à résidence que l’administration accorde parfois pour éviter une expulsion, c’est-à-dire l’obligation de demeurer dans le département de son domicile souvent sans avoir le droit de travailler, peut s’éterniser. « La plupart des expulsés reviennent en France, leur véritable pays, et vivent ensuite dans la clandestinité », déplore Djida Tazdaït, présidente des Jalb et ancienne député européenne. La double peine est un appel d’air à tous les mondes parallèles. Elle dégrade la situation des banlieues et obscurcit leur avenir. Elizabeth Cuigou vient de promettre une commission interministérielle et va envoyer une circulaire au Parquet pour qu’ils tiennent véritablement compte des attaches familiales. Mais il faut maintenir la pression ».
Dans les locaux parisiens du Comité contre la double peine, créé il y a 18 ans, on n’attend plus grand-chose des tables rondes avec les ministères. Mariée à un « double-peine », Fatia Damiche a appris à se battre et à connaître le droit pour aider tous ceux que la justice et l’administration rejettent * En aucune manière on ne légitime l’acte délictueux, je suis mère et grand-mère, souligne-t-elle. Mais les pouvoirs publics devront comprendre que la délinquance des « double-peine » est made in France, apprise ici à l’école de la rue et de la misère ». Sur son bureau, elle montre les lettres de détenus qui craignent une reconduite à la frontière. « La prison, est une horreur, explique-t-elle. Mais au moins, à travers les barreaux, on peut toucher et embrasser l’être qui vous est cher. Tout vaut mieux que le bannissement.