En 1993, elle avait défiguré Odile, la petite amie de son jeune frère. Les jurés l’ont reconnue coupable de tentative d’homicide volontaire sans préméditation.
«Mademoiselle, vous êtes encore plus belle qu’auparavant. Quand on est ce que vous êtes, on a le droit de hurler sa haine. Or, vous nous avez montré une sagesse et une dignité extraordinaire». Martine Bouillon est sortie, hier, du rôle habituellement dévolu à l’avocat général en s’adressant directement à la victime. Odile, la jeune femme sans visage, n’a pas bronché. Avec le temps, ses cheveux ont fini par repousser et ses boucles noires tombent sur ses épaules.
Des flammes, cette métisse antillaise de 18 ans a sauvé son sourire et ses grands yeux sombres. Peut- être aurait-elle aimé croiser, au moins une fois pendant ces trois jours d’audience, le regard de Nadira Bitach ?
Le visage de cette maitresse-femme de 37 ans arbore, lui, des traits sévères :ainée d’une fratrie de sept enfants accusée d’avoir aspergé Odile d’essence au printemps de ses 16 ans. Simplement parce qu’elle fréquente depuis un an son petit frère, Abdelkrim. malgré toute la pédagogie dont a fait preuve le président, Didier Wacogne, et la retenue des parties, le procès n’aura pas permis de lever toutes les interrogations sur le mobile exact de l’agression. « Odile attendait des réponses qui ne sont pas venues », a souligné son avocat, M° Stéphane Maugendre, qui plaidait pour les parties civiles. Il n’a pas voulu s’attarder sur les 23 opérations pratiquées sur sa cliente : « Elle aurait simplement aimé entendre la vérité parce qu’elle était une jeune fille de 16 ans, Innocente, bonne élève et amoureuse. »
Capable de tout
Incompréhension aussi dans l’esprit du représentant du ministère public qui a Introduit un réquisitoire très dense par un : «On va essayer de dégager un soupçon de vérité mais, en réalité, seule Nadira Bitach sait pourquoi». Le magistrat a rappelé notamment les menaces dont la jeune fille a été victime, L’accusée « n’a pas dit: je vais l’égorger. Elle n’a pas dit : je vais lui poser un revolver sur la tempe. Elle a dit : je vais lui faire la peau ! Quelle drôle d’expression quand on regarde son visage aujourd’hui ». Il a tenté de démontrer l’intention de tuer et la préméditation. Il a sèchement laissé tomber : « Vous avez manqué votre coup, Mme Bitach ! Vous vouliez la réduire en cendres, elle devait mourir. Elle est toujours en vie et vous avez fait d’elle quelqu’un de très grand ».
En conséquence, l’avocat général a demandé au jury de condamner Nadira Bitach à quinze ans d’emprisonnement au minimum car elle est, dit-elle, capable de tout. « J’avais l’intention de demander les circonstances atténuantes mais, hier, j’ai vu à quel point elle manipulait tout le monde », a-t- elle conclu. Manipulatrice, Nadira Bitach ? Les experts, entendus mardi, ont décrit une femme intelligente. Imaginative et aussi névrotique : « Un cas d’école presque caricatural d’une fille surinvestie dans son rôle d’aînée dans une famille. » Elle a hérité de cette responsabilité d’une arrière grand-mère en Algérie. Nadira Bitach ne voulait pas perdre les biens d’un père idéalisé, chef d’une entreprise de 35 personnes. « La possession, c’est le mot, monsieur le président », a reconnu un psychiatre. Une possession affective – l’accusé dit « les petits », en parlant de ses frères – plus que religieuse.
Une dignité extraordinaire
C’est précisément à la personnalité « troublée » de Nadira Bitach que s’est attaché Me Lev Forster, pour demander au jury de lui accorder les circonstances atténuantes. Il a fait l’impasse, comme d’ailleurs l’accusation, sur ses croyances religieuses ou, plutôt, ses superstitions : la Bible dans sa cellule par « curiosité », le Coran sous l’oreiller pour éloigner les cauchemars, les talismans sur le corps pour détourner le mauvais œil. « Je dois me battre contre une Image, a commencé l’avocat. Face à cette douleur insupportable, à cette dignité extraordinaire de la victime, on peut être tenté de ne pas chercher à comprendre », a concédé l’avocat. Ce ne serait plus alors un procès, mais un exorcisme. » Il est revenu sur les zones d’ombre du dossier et, en premier lieu, sur la nature de l’objet qui a transformé Odile en torche vivante. Les imprécisions concernent également la place du Tupperware rempli d’essence et la poignée de secondes qui se sont écoulées entre le moment de la rencontre des deux femmes et le drame.
Pour lui, « le geste n’était pas spontané : il n’y avait aucune raison d’imaginer qu’Odile passerait par là ce jour-là », a-t-il expliqué pour mieux rejeter toute préméditation. Il s’est ensuite interrogé sur l’état psychique de sa cliente au moment des faits. « Avec les médicaments qu’elle prenait (des antidépresseurs NDLR), elle était dans un état qui ne lui permettait pas d’appréhender la réalité », a-t-il expliqué, en rappelant la définition de la non-responsabilité pénale. « La maladie ne se condamne pas. elle se soigne », a conclu Me Forster.
Hier soir, la cour d’assises de Seine-Saint Denis a rendu son verdict après quatre heures de délibéré : elle a condamné Nadira Bitach à douze ans de réclusion criminelle.