Première porte à gauche, par l’entrée du Quai des Orfèvres. L’audience des comparutions immédiates de la 23e chambre correctionnelle du palais de justice de Paris est ouverte. Comme d’habitude, la « 23e » fait salle comble. Sous le regard impavide des traducteurs, les avocats jettent un ultime coup d’œil sur leurs dossiers.
Le premier prévenu se lève. Et dans un murmure inaudible décline son identité. Farid est algérien. Débarqué en France à l’âge de 16 ans, il est depuis près de sept ans en situation irrégulière sur le territoire. Le tribunal l’entend ce jour-là pour une tentative de vol de portefeuille: «D’habitude je reconnais les laits, mais là c’est pas vrai», plaide-t-il dans un souffle. «D’habitude», dit Farid… Un casier judiciaire long comme une nuit au dépôt et un dossier frappé, comme beaucoup d’autres, du tampon «ITF». Ce sont les «interdits» de territoire français. Régulièrement condamné, régulièrement repris.
Environ quinze minute par dossier
La comparution immédiate est une procédure réservée aux affaires simples ». Les prévenus ont par ailleurs souvent des antécédents judiciaires ou sont en séjour irrégulier. La capitale traite à elle seule 25% des ces affaires. Soit, environ, 40 à 50 dossiers par jour. Une charge énorme qui pèse sur les après- midi de la 23e… Même en «tirant» les audiences jusqu’à 22 heures parfois, le temps moyen accordé à un dossier excède rarement 15 minutes.
Un quart d’heure pour faire la lumière… « parodie de justice», disent les avocats qui peuvent avoir jusqu’à trois ou quatre dossiers le même jour et ne disposent de quelques heures le matin pour rencontrer les prévenus. « On n’a généralement pas le temps de contacter les familles ou de se procurer les documents nécessaires », raconte Florence Rémy, avocate à Paris. Une défense difficile à assurer dans de telles conditions, ajoute Stéphane Maugendre, avocat à Bobigny et membre du Syndicat des avocats de France : « Il n’y a pratiquement aucune étude de personnalité. Ce qui fait qu’on a entre les mains les seuls procès»verbaux de police! »
La « 23ème » est un petit monde où le temps presse, sans cesse. Et où l’on sent rapidement poindre la routine. Avec des dossiers qui ressemblent à s’y méprendre à ceux de la veille; des arguments stéréotypés, du côté de la défense comme du côté de l’accusation ; des peines qui tombent, un peu comme si les « tarifs » étaient affichés à l’entrée; des prévenus qui portent gravement cette même mauvaise mine que collent immanquablement les heures passées dans la «souricière» – le sous-sol du palais où ils attendent; et enfin les «tricoteuses», ces indéracinables collées aux bancs du public, qui viennent là comme on va au spectacle.
Farid attend les réquisitions. Inquiet. Le substitut du procureur est visiblement exaspéré : « Moi, ici, je n’entends que des innocents toute la journée! Voilà quelqu’un qui nous promène depuis des semaines en changeant en permanence de nom, avec une quinzaine d’alias. Il faut un emprisonnement dissuasif » Dissuasif? L’avocate s’interroge : « Après un an de prison, Farid sortira et son pays n’en voudra pas. Il a déjà fait huit mois, puis encore six mois. Pourquoi douze mois seraient-ils soudain plus efficaces?»
Justice rapide ou justice bâclée?
Dossier suivant. Pascal, 23 ans, plusieurs fois condamné pour vol à la tire, SDF, toxicomane, malade du sida, atteint de tuberculose. La prison, c’est le cadet de ses soucis. Il demande simplement, d’une voix douce, qu’on lui fasse parvenir ses médicaments. F. Rémy fulmine : « Les comparutions immédiates sont à la fois rapides, sévères et sans suivi. Les toxicomanes vont en prison parce qu’ils ont volé. Mais ils volent parce qu’ils sont toxicomanes. Alors qu’est-ce qu’on fait?»
À cette question, les représentants de l’accusation répondent invariablement : il y a eu faute, il doit donc y avoir sanction. Justice à la chaîne? Justice rapide ne veut pas dire bâclée, rétorquent-ils. A 17 h 30, les délibérations sont terminées. Farid est condamné à dix mois de prison et une interdiction de territoire de dix ans. Pascal fera aussi quelques mois. La cour le presse de rester en contact avec l’hôpital et d’aller se faire saigner »… En réponse, Pascal marmonne que de toute façon il n’en a « plus pour très longtemps ». S.Maugendre, lui, n’en démord pas: « Décider de la vie de quelqu’un en quelques minutes, c’est tout, sauf de la justice. »