Stéphane Rak et Isabelle Berdoll, 09/10/1993
Peut-on enfermer les délinquants sexuels pendant trente ans de manière incompressible? Les juristes et les personnels pénitentiaires sont réservés tant sur la mise en œuvre de cette mesure que son utilité.
L’affaire de la petite Karine aura marqué les esprits. Violée et tuée par un multirécidiviste. Comme à chacun de ces drames, la question est posée de savoir s’il ne faudrait | pas réintégrer dans le droit français la peine de mort pour les meurtriers d’enfants. Sans aller jusqu’à cette extrémité, une solution consiste à augmenter la durée de la sanction infligée et s’assurer que celle-ci soit rendue effective. C’est en tout cas l’intention affichée par le ministre de la Justice, Pierre Méhaignerie, qui envisage de faire passer la peine maximale à trente ans et de la rendre incompressible.
Finies les libérations conditionnelles, les remises de peine légales qui font de la perpétuité aujourd’hui une peine égale en moyenne à quinze ans d’emprisonnement. « On va enfin mettre un terme au système d’érosion des peines auquel la loi Chalandon de 1986 avait tenté de mettre un terme, en vain », souligne le secrétaire général de l’Association professionnelle des magistrats (APM), Dominique Matagrin. Cela fait des années que ce magistrat de droite réclame une telle mesure.
Celle-ci n’a jamais vraiment recueilli l’unanimité parmi les professionnels de la justice, qui voient mal comment elle pourrait être mise en pratique. «Quand on enferme des gens pour trente ans sans espoir d’être libérés, ils deviennent de véritables fauves, difficilement gérables, car ils n’ont plus rien à perdre», estime le secrétaire général de l’Union des syndicats de magistrats (USM), Valéry Turcey.
« Absolument faux, rétorque Dominique Matagrin. Cette crainte d’en faire des fauves est légitime, mais infondée. Les délinquants sexuels sont loin d’être les plus dangereux. Par ailleurs, la grâce présidentielle, étant un droit constitutionnel, demeurera et restera un espoir pour les détenus condamnés à perpétuité. »
Le problème que soulèvent bien des juristes ne concerne pas la durée de la peine mais son utilité. « Qu’une personne soit enfermée 10, 20 ou 30, cela ne change rien s’il n’existe pas de structures à même de la soigner », indique Valéry Turcey. « Alors qu’on connaît des exemples étrangers sur lesquels on pourrait prendre modèle, les Etats-Unis ou le Canada, par exemple, où l’on applique des traitements psychiatriques aux détenus, en France, le débat n’a même jamais été soulevé. En général, le milieu médical est réticent à l’idée d’imposer de manière autoritaire des soins aux prisonniers. Une fois en prison, aucune thérapie n’est proposée aux délinquants sexuels. »
Me Stéphane Maugendre, responsable du syndicat des avocats de France, indique stupéfiait qu’à Fleury-Mérogis, « on ne compte que trois médecins pour quelque 15 000 détenus». Malgré cela, cet avocat ne remet pas en cause notre système judiciaire. « Le droit n’a pas à s’adapter à une rédaction épidermique à un moment donné », estime-t-il, soulignant que «ces individus ont certes commis des fautes très graves, mais ils sont malgré tout réinsérables. Il faut regarder les chiffres et on constate que le récidives dans ce domaine ne sont pas fréquentes. Pour un cas qui vaj faire scandale, on ne s’aperçoit pas que 150 autres ont pu reprendre! une vie normale ». ;
Et de conclure : « Ce débat revient presque à réintroduire la peine de mort. » « A la différence, explique le secrétaire général de l’Union des fédérations de l’administration pénitentiaire (UFAP), Gilles Sicard que les délinquants sexuels restent en prison et que nous n’avons pas les moyens de les garder en toute sécurité. » Ce gardien de prison réclame, si le projet de loi venait à son terme, «davantage de moyens financiers et d’effectifs spécialisés, faute de quoi ce projet restera purement illusoire ».
Il n’est pas si facile de réaliser concrètement une demande, fut-elle majoritaire dans l’opinion publique.