Dominique Simonnot, 23/06/1993
Le député RPR Alain Marsaud dit se baser sur la Cour de cassation pour expliquer que son amendement c’est le contraire du délit de faciès. Analyse de la jurisprudence.
Comment faire de la discrimination raciale sans trop le dire? C’est le problème auquel sont désormais confrontés l’Assemblée nationale et le gouvernement avec l’amendement dé-posé par Alain Marsaud: les policiers « peuvent se fonder sur tout élément permettant de présumer la qualité d’étranger autre que l’appartenance raciale». précise l’amendement, destiné. selon le député, à faciliter le contrôle d’identité des étrangers en situation irrégulière.
Un petit plus dans l’arsenal des lois s’appliquant aux étrangers. Y manquait selon Alain Marsaud. des critères clairs pour que les policiers puissent faire leur travail en matière de répression du séjour irrégulier. Et. ajoute le député de la Haute-Vienne pour faire taire ses détracteurs: «Mon amende- ment. c ‘est le contraire du délit de fa-dès. vous n’avez qu’à lire la jurisprudence de la Cour de cassation. Je la reprends.»
A lire les arrêts de la Cour de cassation sur le sujet, on sent que les hauts magistrats ont le sentiment de marcher sur des œufs. Et leur réponse semble souvent bien sibylline. Pourtant, la cour a réussi à tracer quelques contours de la légalité en la matière. En 1985. une première décision explique que, pour contrôler l’identité d’un étranger en dehors de tout délit commis. « il faut que des éléments objectifs déduits de circonstances extérieures à la personne même de l’intéressé soient de nature à faire apparaître sa qualité d’étranger». En l’espèce, il s’agissait de deux personnes roulant dans une voiture immatriculée à l’étranger critère extérieur, donc légal.
Mais comment distinguer ces signes extérieurs portés par l’étranger? Serait- ce le vêtement? Ça se discute. Un Français à la peau noire peut se promener en ne prévoit même pas de prendre en boubou. Serait-ce un tam-tam? Mais, là encore, on risque de demander son titre de séjour à un musicien français.
Quelques années plus tard, en 1992.un nouvel indice était donné, par l’annulation d’un contrôle d’identité. Les policiers avaient, en effet, noté dans leur PV d’interpellation que. «circulant aux abords de la gare de Ville-pinte, lieu propice aux vols à la roulotte, ils avaient remarqué deux individus s’exprimant en une langue étrangère». La langue parlée. Soit un critère intrinsèquement lié à la personne et qui ne peut être motif à interpellation. Malgré ses références au respect de la jurisprudence, c’est le contraire que dit Alain Marsaud. dans l’exposé de ses motifs: «Il s’agit de préciser les éléments permettant de présumer de l’extranéité. En effet, la jurisprudence de la Cour de cassation ne prévoit même pas de prendre en compte la langue parlée…» Pourtant, si la Cour de cassation avait repoussé l’argument de la langue parlée», c’est que. au même titre que la couleur de la peau, elle caractérise la personne bien plus que son statut.
« Ce texte ne veut rien dire », s’énerve Me Stéphane Maugendre (avocat). « on dit exclure la race mais on conserve tous les éléments qui disent qu’il s’agit de la race ». Ajoutant: «En introduisant cette disposition dans la loi, on empêche tout contrôle de la Cour de cassation.» Un contrôle déjà rarissime, souligne pour sa part Me Simon Foreman: «Mais, cette fois, ce sera une bénédiction donnée aux policiers. » Les tribunaux, eux. depuis longtemps ont choisi : «Dans la pratique, explique Me Simon Foreman. ils valident absolu ment tous les contrôles.»