17/09/2012
Le nouveau gouvernement a choisi la continuité avec l’ancien : la politique d’expulsion des camps de « Roms » étrangers continue de plus belle. Aux mêmes motifs. Avec à peu près les mêmes mots, les mêmes images. Avec les mêmes présupposés et les mêmes conséquences. À commencer par l’ethnicisation de familles issues de lieux et d’histoires multiples, qui ne se reconnaissent pas nécessairement de destin commun, sauf celui auquel on les assigne : le cercle vicieux de la misère et de l’exclusion.
Cela, nous ne voulons, nous ne pouvons pas l’accepter. Il y a deux ans, il importait déjà de se dresser en opposition à la politique de stigmatisation et de persécution menée sous la houlette de Nicolas Sarkozy, dans l’esprit du discours de Grenoble, contre les Roms et les gens du voyage. C’est avec la même détermination que nous nous élevons aujourd’hui contre la politique menée aux dépens des Roms sous la responsabilité du président de la République et de son premier ministre par leur ministre de l’Intérieur.
Manuel Valls renoue en effet avec une rhétorique qui avait mené un de ses prédécesseurs à la présidence de la République, et la République au bord de l’abîme. Or combien sont-ils, ceux qu’on veut expulser? 12 000 ? 15 000 tout au plus ? Sont-ils à ce point une menace pour l’ordre public qu’il faille impitoyablement les déloger sans solution de rechange ?
Si les nouveaux responsables invoquent autant la sécurité que les anciens, ils revendiquent (à l’instar de François Hollande pendant la campagne) un juste milieu entre « fermeté » et « humanité ». Mais qui peut croire que c’est pour leur bien qu’on détruit le lieu de vie de ces migrants ? En tout cas, pas les premiers intéressés. Car ils l’ont vite compris : si l’on se souciait tant de leur bien être, on ne les abandonnerait pas ensuite à leur sort, en oubliant de les reloger. Ils ne font qu’aller un peu plus loin. S’ils parviennent à se cacher, c’est au risque d’être encore plus abandonnés à eux-mêmes et privés des droits sociaux les plus élémentaires. Déplacer ainsi les gens, c’est bien sûr redoubler leur précarité, et faire obstacle à la scolarisation de leurs enfants.
Certes, Jean-Marc Ayrault préconise la concertation. Mais sur le terrain (faut-il s’en étonner ?), ces engagements ne sont pas respectés. Des centaines de familles se retrouvent dans des situations inextricables. À Lyon comme à Lille ou à Marseille ou en région parisienne, le travail des associations de bénévoles a été ruiné en quelques heures. En Essonne, plusieurs expulsions de bidonvilles ont eu lieu sur arrêtés municipaux, sans solution de relogement réel. Dans de nombreux départements, trop de communes tentent de ne pas scolariser les enfants Roms.
La majorité gouvernementale croit-elle donc qu’en agitant les peurs sécuritaires, elle échappera au reproche de « laxisme » ? C’est tout le contraire : dans ce domaine, elle n’ira jamais assez loin. La droite, en attendant peut-être l’extrême-droite, fera toujours mieux, c’est-à-dire pire. La gauche gouvernementale le paiera donc cher, y compris dans les urnes. En tout cas, les sondages suggèrent déjà qu’elle n’y gagne rien – pas plus qu’hier la droite au pouvoir. Seul le Front national pourra récolter les fruits de cette politique.
En outre, les concessions au populisme identitaire et sécuritaire ne feront pas avancer le pays dans sa mobilisation citoyenne face à la dictature des marchés et aux destructions d’emploi, bien au contraire. S’en prendre aux Roms ne suffira donc nullement à gagner les suffrages populaires. Cela ne peut que diviser, affaiblir là où il faut rassembler, agir. Singer la droite ? C’est décidément un mauvais calcul.
Il ne suffira pas davantage de renvoyer cette réalité migratoire à son origine – en l’occurrence la Roumanie, ainsi que la Bulgarie. Comme dans de nombreux pays de l’Europe de l’Est, la violence ordinaire vis-à-vis des « Tsiganes » se poursuit et risque de s’intensifier à mesure que la situation économique se dégrade. En même temps, la légitimation par l’État français de leur caractère indésirable ne peut que renforcer ce racisme.
Surtout, plutôt que de faire peser cette migration sur les gouvernements nationaux d’origine, comme l’a fait le ministre de l’Intérieur, il faut faire valoir une responsabilité de l’Union au lieu de mettre en péril l’idéal européen en la réduisant aux politiques néolibérales sans même la caution des droits de l’homme. Bref, il faut que Viviane Reding, commissaire européenne aux Droits fondamentaux, parle haut et fort comme en 2010, et non qu’elle soit réduite au silence face à l’État français.
Nous ne ressentons pas moins d’indignation qu’alors ; en revanche, notre colère est plus grande. Pourquoi changer de Président, sinon pour changer de politique ? Or plus ça change, plus c’est la même chose : les Roms sont encore et toujours pris pour boucs émissaires. Au lieu de jouer à son tour sur les peurs et les ressentiments, ce gouvernement aurait pu faire le pari des valeurs démocratiques : la liberté et l’égalité, pour les Roms aussi. Nous en sommes loin. Après l’éviction de la droite éhontée, on assiste à l’avènement d’une gauche honteuse.
Aujourd’hui, nous voulons donc interpeller la majorité gouvernementale : Rien ne vous oblige à ce choix. Il est contraire aux principes que vous revendiquez ; pour autant, il n’est pas davantage dans vos intérêts. Votre responsabilité n’en est que plus grande. Nous vous tenons donc comptables aujourd’hui, comme l’histoire vous tiendra comptables demain, de cette banalisation de la xénophobie et du racisme par l’État français, au mépris des leçons du passé et des menaces qui pèsent sur l’avenir.
Les premiers signataires : Karim Abboub, psychanalyste, Benjamin Abtan, Président du Mouvement Antiraciste Européen EGAM, Michel Agier, directeur d’études EHESS, Eric Alliez, Philosophe, Université Paris 8 / Kingston University, Jean-Loup Amselle, anthropologue, Etienne Balibar, philosophe, Fethi Benslama, Professeur de Psychopathologie, Anne Emmanuelle Berger, professeure de littérature et d’études de genre, Paris 8, Jacques Bidet, professeur émérite à l’Université de PARIS OUEST, Bertrand Binoche, professeur à Paris-I, Luc Boltanski, directeur d’études à l’EHESS, Matthieu Bonduelle, président du Syndicat de la magistrature, Frank Burbage, Professeur de philosophie, Alain Brossat, Professeur de philosophie (émérite), Université Paris 8, Cécile Canut, linguiste, Paris Descartes, Alice Cherki, psychiatre, psychanalyste, essayiste, Ariane Chottin, psychologue, Nathalie Chouchan, Professeur de philosophie, Hélène Cixous, Ecrivain, Olivier Clochard, président de Migreurop, Michèle Cohen-Halimi, maître de conférences en philosophie à l’Université de Paris Ouest Nanterre, Patrice Cohen-Séat, Président d’Espaces-Marx, Catherine Coquio, professeure de littérature à Paris-Diderot (Paris 7), Philippe Corcuff, maître de conférences à l’IEP de Lyon et membre du conseil scientifique d’Attac, Claude Corman, cardiologue, Marie Cuillerai, département de philosophie de Paris 8, Jean-Pierre Dacheux, docteur en philosophie, Françoise Dastur, Professeur honoraire des universités, Archives Husserl de Paris, Marianne Denicourt, comédienne, Ivaylo Ditchev, Professor of cultural anthropology, Suzanne Doppelt, auteur, Stéphane Douailler, Professeur de philosophie, Université Paris 8, Espaces Marx, Eric Fassin, sociologue, Paris 8, Michel Feher, philosophe, président de l’association cette France-là, Goran Fejic, analyste politique, ancien fonctionnaire international, Franck Fischbach, Philosophe, Univ. Nice Sophia-Antipolis, Geneviève Fraisse, philosophe, directrice de recherches CNRS, Frédéric François, linguiste, Marie Gaille, philosophe, chargée de recherche au CNRS, Patrick Gonin, Enseignant chercheur Université de Poitiers, Elisabeth Gauthier, François Gèze, éditeur, Lisa Ginzburg, journaliste, Alfredo Gomez-Muller, Professeur Université de Tours, Robert Guédiguian, cinéaste, Serge Guichard, Association de Solidarité en Essonne aux Familles Roms, Hugo Haas, architecte, La Cigüe, Jean-Frédéric de Hasque, réalisateur – anthropologue, Chantal Jaquet, Philosophe, professeur à l’université Paris1-Panthéon-Sorbonne, Alain Joxe, ancien directeur d’études à l’EHESS, directeur du CIRPES, Alain Keler, Photographe, Françoise Kerleroux, linguiste, professeur à la retraite, Paris 10 Nanterre, Cécile Kovacshazy, maître de conférences en littérature comparée, Denis Lachaud, écrivain, Thomas Lacoste, cinéaste et éditeur, La Bande Passante, Catherine Larrère, Université Paris 1, Olivier Le Cour Grandmaison, universitaire, Jean-Pierre Lefebvre, Ecole Normale Supérieure, Olivier Legros, MCF Université de Tours et membre Urba-Rom, Catherine Lévy, sociologue, Jean-Marc Lévy-Leblond, Professeur émérite de l’université de Nice, Jean-Pierre Liégeois, sociologue, Daniele Lochak, universitaire, présidente honoraire du Gisti, Isabelle Lorand, chirurgienne, responsable Droits et liberté PCF, Michael Löwy, directeur de recherches émérite au CNRS, Paris, Seloua Luste Boulbina, Directrice de programme, Collège International de Philosophie, Charles Malamoud, Indianiste, directeur d’études honoraire, Ecole pratique des hautes Études, Philippe Mangeot, enseignant, Nicolas Martin-Granel, chercheur associé à l’ITEM (CNRS/ENS), Stéphane Maugendre, président du Gisti, Jacques Message, Chaire supérieure de philosophie (Amiens), Renée Le Mignot co-présidente du MRAP, Christophe Mileschi, écrivain, italianiste, Ariane Mnouchkine, metteuse en scène, Richard Moyon, Réseau Education sans frontières, RESF, Laurent Mucchielli, sociologue, Jean-Luc Nancy, philosophe, Pap Ndiaye, historien EHESS, Catherine Neveu, Directrice de recherche au CNRS,Gérard Noiriel, EHESS, Paris,,Bertrand Ogilvie, professeur de philosophie, psychanalyste, université Paris 8-Saint Denis, Salvatore Palidda, DISFOR-UNIGE, Universita’ degli Studi di Genova, Claude Pennetier, Directeur du Maitron, chercheur CNRS, Centre d’histoire sociale du XXe siècle, Germinal Pinalie, Revue Classes, Mathieu Potte-Bonneville, Collège International de Philosophie / ENS de Lyon, Jean-Luc Poueyto, anthropologue, Université de Pau et des Pays de l’Adour, Vincent Rafis, Isabelle Rèbre, cinéaste, Marie-Joëlle Redor, Enseignant chercheur à l’Université de Caen Basse-Normandie, Judith Revel, philosophe, maître de conférences, univ. paris 1 panthéon-sorbonne, Revue Vacarme, Claire Rodier, vice-présidente de Migreurop, Diogo Sardinha, Directeur de programme au Collège international de philosophie, Pierre Sauvêtre, Doctorant en science politique, chargé de cours à Sciences-Po Paris, Guillaume Sibertin-Blanc, Philosophe, James T. Siegel, anthropologue émérite, Cornell University, Andrée Tabouret-Keller, linguiste, Sébastien Thiéry, politologue, Louis-Georges Tin, président du CRAN, Michel Tort, psychanalyste, Transform!, Eleni Varikas, Professeur émérite, Université Paris 8, Patrick Vauday, Professeur à l’Université Paris 8, Patrice Vermeren, Directeur du département de philosophie, Paris 8, Sophie Wahnich, historienne, directrice de recherche au CNRS