Une circulaire du ministère de l’intérieur montre que les Roms ont bien été explicitement et directement visés par la politique de démantèlement des camps illégaux. Or les associations de défense des droits de l’homme et un professeur de droit public estiment que l’action du gouvernement est juridiquement illégale, puisqu’est visée directement une catégorie de population en tant que telle et non des individus qu’on incriminerait pour certains faits.
La circulaire contredit les propos d’Eric Besson. Le texte du 5 août 2010 signé par Michel Bart, le directeur de cabinet du ministre de l’intérieur, stipule que « 300 campements ou implantations illicites devront avoir été évacués d’ici trois mois, en priorité ceux des Roms. Il revient donc, dans chaque département, aux préfets d’engager (…) une démarche systématique de démantèlement des camps illicites, en priorité ceux de Roms ». Le document cible expressément, et à plusieurs reprises, les Roms. « Par ailleurs, il convient évidemment d’empêcher l’installation de nouveaux camps illicites de Roms. Dans le cas d’un début d’installation vous mettrez tout en œuvre pour vous y opposer (…) « , précise également le texte
Le ministre de l’immigration et de l’identité nationale, Eric Besson, avait contesté la semaine dernière que les Roms aient été spécialement visés par ce que le gouvernement présente comme une politique d’aide aux retours volontaires. « Le droit européen a été respecté. Il n’y a pas eu d’expulsion collective », a dit Eric Besson en déplacement à Bucarest.
Des associations critiquent la légalité du texte. « Avec la circulaire du ministère de l’intérieur, on joint le geste à la parole. On vise un groupe de personnes en raison de leur appartenance à une communauté. On est dans la provocation à la discrimination », a estimé Stéphane Maugendre, le président du Groupe d’information et de soutien des immigrés. Le Gisti, association de juristes, a fait part de son inquiétude et prépare un recours en annulation devant le Conseil d’Etat. Actuellement, l’association « examine » le document pour voir « s’il constitue une infraction pénale ». « Vous imaginez une circulaire nommant expressément les Juifs ou les Arabes ? », s’est indigné M. Maugendre sur France Info. « Cette circulaire est contraire à la Constitution, laquelle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine », a expliqué à La Croix Jean-Pierre Alaux, chargé d’études au Gisti.
« Très probablement illégale ». « Cette circulaire est très probablement illégale », confirme Jean-Bernard Auby, professeur de droit public à Sciences Po. « La situation des Roms ne semble pas assez particulière par rapport aux autres étrangers en situation irrégulière pour justifier qu’ils soient directement visés. Dans ces conditions, la circulaire est très probablement contraire au principe d’égalité, estime-t-il. Tout le débat devant le Conseil d’Etat se fera sur cet aspect de la particularité ou non de la situation des Roms, mais on ne peut pas dire que les Roms sont les seuls étrangers à poser des difficultés ».
Si le Conseil d’Etat est saisi, il peut décider de suspendre très rapidement la circulaire, avant de statuer sur le fond. Une telle suspension aurait pour effet de rendre impossible toute expulsion en vertu de cette circulaire. Le gouvernement pourrait immédiatement en signer une nouvelle, mais devrait veiller cette fois-ci à ne pas viser spécifiquement les Roms.
Le PS critique le « symbole d’une politique xénophobe ». Le Parti socialiste a pour sa part estimé que la circulaire était le « symbole d’une politique xénophobe ». « Je demande à la Commission européenne et à son président José Manuel Barroso d’engager une procédure d’infraction à l’encontre du gouvernement français pour que cesse le traitement indigne et la stigmatisation inacceptable des citoyens européens que sont les Roms », dit Harlem Désir, député européen et secrétaire national, dans un communiqué. « Cette circulaire est absolument contraire à de nombreux textes juridiques français, européens et internationaux, et contrevient à plusieurs droits fondamentaux reconnus par l’Union européenne et la France et notamment le principe de non-discrimination », ajoute-t-il.
La Commission européenne, qui a demandé des « informations » à Paris pour évaluer si les expulsés avaient bénéficié de tous les droits qui leurs sont garantis en matière notamment d’intégration, devrait rendre prochainement ses conclusions.