Sans-papiers : les soutiens sur « écoute informatique » ?

rue89-logo Chloé Leprince 22/12/2007

Un projet de loi prévoit d’autoriser la police à placer des logiciels espions notamment contre l’aide aux sans-papiers.

Et si la police était désormais habilitée à placer des logiciels espions dans les ordinateurs dans le but de surveiller en temps réel le flux informatique des particuliers et des entreprises, y compris les e-mails et les conversations téléphoniques via des logiciels comme Skype ? C’est en tout cas ce que prévoit une disposition, dévoilée la semaine dernière par la presse, de la prochaine Loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure (Lopsi), qui doit être présentée en janvier par Michèle Alliot-Marie en Conseil des ministres.

Contactés ce samedi, les services du ministère de l’Intérieur évitent encore de communiquer plus amplement sur le sujet. « Un peu tôt » y explique-t-on. Plusieurs dispositions ont pourtant filtré et notamment ce nouveau feu vert à l’installation de « mouchards ».

Les policiers seraient autorisés à avoir recours à ces « clés de connexion » non seulement pour de la grande délinquance « dès lors que les faits sont commis en bande », précise le texte tel qu’il a filtré à ce jour -et n’a pas été démenti par le ministère. Mais aussi pour « l’aide à l’entrée et au séjour d’un étranger en situation irrégulière ».

Sur le papier, la justification s’articule bien sûr autour de la lutte contre les réseaux de l’immigration clandestine et notamment contre les passeurs. Mais, dans les faits, des associations comme RESF, par le biais de laquelle des particuliers s’organisent notamment pour assister, et parfois cacher, des parents d’enfants scolarisés qui sont en situation irrégulière, pourraient être menacées.

« Une volonté symbolique et politique plus qu’une vraie utilité »

C’est sous le contrôle du juge d’instruction et du juge des libertés et de la détention (JLD) que la police sera habilitée à contrôler en temps réel le contenu des ordinateurs des gens placés sur « écoute informatique ». Un JLD interrogé par Rue89 se montre « plutôt sceptique » :

« Cette disposition traduit bien sûr la pression accrue sur la lutte contre l’immigration clandestine. Partout, dans les services de police, les préfectures, les gendarmeries, on forme des équipes spécifiquement destinées à cela. Mais, du point de vue de l’enquête, je suis dubitatif sur le lien entre ce qui peut circuler sur ces ordinateurs et les étrangers en situation irrégulière. J’ai du mal à saisir l’utilité de la chose. »

Pour ce magistrat, cette disposition nouvelle relève en fait davantage d’une volonté « symbolique ou politique » que d’une utilité réelle, alors qu’à ses yeux, on déploie déjà bien davantage d’énergie à poursuivre les sans-papiers eux-mêmes qu’à lutter contre les réseaux de passeurs.

Inquiétude des associations

La plupart des associations n’avaient pas encore relevé ce détail de la Lopsi, qui ne sera rendue publique que début 2008. Mais cette nouvelle génération de mouchards inquiète, alors que Rue89 racontait début décembre que deux salariées de France terre d’asile avaient été placées sur écoute pendant plusieurs mois avant d’être carrément placées en garde à vue pour avoir eu des conversations téléphoniques avec de jeunes clandestins qu’elles suivaient dans le cadre de leurs maraudes.

Vice-président du Gisti, l’avocat Stéphane Maugendre rappelle qu’il y a une tendance à la criminalisation générale de l’aide aux sans-papiers :

« Cette disposition serait un pas de plus mais, dès à présent, la loi sur l’aide au séjour irrégulier est tellement vaste qu’elle concerne aussi bien l’oncle qui accueille son neveu quelques jours, le petit passeur, les associations qui aident les sans-papiers, que les gros réseaux de trafic. »

Si aucun parent d’élève associé par exemple à RESF n’a encore été poursuivi, Stéphane Maugendre souligne que la pression va bien crescendo sur le terrain.

Du côté de la Cimade, Sarah Bellaïche juge « très inquiétante » la nouvelle mouture de la loi de sécurité intérieure mais constate également que l’arsenal législatif permettait déjà de donner un tour de vis supplémentaire, en poursuivant par exemple les passagers d’un avion qui s’étaient opposés à l’expulsion d’un clandestin pour « atteinte au bon fonctionnement d’un aéronef ».