Extrait : C’est une satisfaction pour les associations : Christiane Taubira a décidé, mardi 17 décembre, de reporter l’ouverture, prévue le 1er janvier 2014, d’une salle d’audience du tribunal de Bobigny dans la zone d’attente de l’aéroport de Roissy. La première audience du tribunal de Meaux pour les étrangers, près du centre de rétention du Mesnil-Amelot, en Seine-et-Marne, et à proximité des pistes, avait provoqué à la mi-octobre un vif émoi. La ministre de la justice a donc décidé de commander, le 29 octobre, un rapport sur la conformité « aux exigences européennes et nationales » de l’annexe du tribunal de Bobigny dans l’aéroport. Le bref rapport, remis mardi, estime que, en l’état, cette salle d’audience court le risque d’être inconstitutionnelle, et propose quelques solutions.
La situation des étrangers dans les centres de rétention et les zones d’attente n’est pas la même. Les étrangers sans titre de séjour interpellés en France sont placés par les préfets dans des centres de rétention administrative (CRA) ; un juge des libertés et de la détention doit, au bout de vingt-cinq jours, se prononcer sur leur maintien en rétention pour vingt jours supplémentaires. Il existe trois annexes de tribunaux près des CRA, à Coquelles (Pas-de-Calais), au Canet à Marseille, et, donc, au Mesnil-Amelot.
En revanche, dans la zone d’attente pour personnes maintenues en instance (ZAPI) de l’aéroport de Roissy, l’étranger n’a juridiquement pas mis le sol français : il est cueilli à la descente d’avion, faute de passeport ou de certificat d’hébergement, et retenu quatre jours. Un juge des libertés peut prolonger son maintien jusqu’à vingt jours, voire vingt-six pour les demandeurs d’asile. D’où l’idée de créer une annexe du tribunal près de la ZAPI pour éviter d’aller jusqu’à Bobigny, à 17 km de là.
DES LOCAUX « AU CONFORT FORT SOMMAIRE »
Et cela fait du monde : Roissy détient, relève le rapport, « le record pour ce qui concerne le nombre de décisions de refus d’entrée sur le territoire », avec 6 246 refus en 2012, 6 997 personnes placées en zone d’attente présentées à un juge.
Les auteurs, Bernard Bacou, ancien président de la cour d’appel d’Aix-en-Provence et Jacqueline de Guillenchmidt, ancienne membre du Conseil constitutionnel ne contestent pas la nécessité de faire venir les juges jusqu’à l’aéroport, mais les magistrats sont réservés, les avocats hostiles et les militants choqués même si « Actuellement reste intolérable, pour le respect des droits de l’homme le transfert massif des étrangers de la ZAP vers le siège du tribunal », de la distance ou de l’attente dans des locaux » au confort fort sommaire ».
En revanche, penser qu’éviter les transfèrements permettra des économie est tout à fait illusoire », il s’agit en fait « d’un simple transfert de charge entre le ministère de l’intérieur et celui de la justice avec un résultat probablement négatif pour le budget global de l’État ».
Reste une difficulté : la Cour de cassation, en 2008, puis le Conseil constitutionnel, en 2011, ont jugé que les salles d’audience devaient être placées « à proximité immédiate » des centres de rétention, mais pas à l’intérieur. Le juge doit pouvoir « statuer publiquement », or l’accès aux centres de rétention, comme aux zones d’attente, est interdit au public.
« UNE VICTOIRE EN DEMI-TEINTE »
A Roissy, l’annexe du tribunal est certes indépendante, mais séparée par une simple porte. Les rapporteurs demandent qu’elle soit murée pour que l’étranger n’ait pas l’impression d’être toujours entre les mains de la police mais bien devant un juge : « Seule une sortie effective de la zone d’attente par l’extérieur » permettrait « de satisfaire la nécessité de l’apparence d’impartialité » du tribunal. Il suffit en somme de faire un détour par l’extérieur.
Enfin, « l’accueil, le contrôle de l’entrée et la surveillance de l’audience peuvent être confiés à la police aux frontières (PAF), puisque c’est elle qui a placé les étrangers en zone d’attente et qu’elle est partie à l’audience juge ne saurait siéger au domicile de l’une des parties ». Il suffirait de remplacer à l’audience la PAF par des CRS pour lever la difficulté.
Christiane Taubira, avant de prendre une décision, va devoir mener un négociation serrée avec le ministère de l’intérieur. « C’est une victoire demi-teinte, constate Me Stéphane Maugendre, le président du Groupe de soutien aux travailleurs immigrés (Gisti). Le rapport ne s’attache qu’à l’apparence de l’impartialité, et pas au problème de fond. La justice, sereine, doit être rendue sous l’œil du citoyen. Et personne n’ira jusqu’à la zone de fret de Roissy pour suivre une audience. »
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