Jean-Baptiste François, 17/09/13
Des syndicats d’avocats et de magistrats se mobilisent mardi 17 septembre pour dénoncer une violation des principes du droit après la décision d’installer deux salles d’audience réservées aux étrangers en situation irrégulière dans et à proximité de l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle.
Les associations de soutien aux migrants se mobilisent contre un projet inédit. D’ici à la fin du mois, une première salle d’audience délocalisée du tribunal de Meaux (Seine-et-Marne) doit ouvrir à proximité de l’aéroport de Roissy, près du centre de rétention du Mesnil-Amelot, le plus vaste de France, pour les sans-papiers en instance d’expulsion.
Une seconde salle doit ouvrir en décembre dans la « zone d’attente » de l’aéroport Charles-de-Gaulle où, en 2012, 6 000 étrangers sans titre de séjour ont été retenus avant même d’avoir fait leur entrée sur le territoire français. Jusqu’à maintenant, ces derniers étaient jugés au tribunal de Bobigny (Seine-Saint-Denis).
Mardi 17 septembre, des militants de la Cimade, du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti), de la Ligue des droits de l’homme (LDH), ainsi que des syndicats d’avocats et de magistrats doivent se rassembler contre ces projets. Pour eux, les fondements mêmes du système judiciaire sont remis en cause. La difficulté d’accès à ces lieux remet en cause le principe de « publicité des débats », selon lequel les citoyens sont en droit d’assister aux audiences. Ils craignent en outre que les frais de déplacement des avocats ne freinent l’exercice des droits de la défense.
améliorer « les conditions humaines de traitement »
« Pourquoi ne pas rendre la justice directement dans les commissariats ou les prisons ? », ironise Stéphane Maugendre, président du Gisti et avocat à Bobigny. « Le juge doit prendre ses décisions dans la cité, pas sous le regard de l’administration chargée des éloignements », poursuit-il. Mardi, la commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) doit rendre un avis sur de tels espaces.
À Meaux, les avocats sont moins sévères avec le projet d’installation à Roissy. « Nous considérons qu’il n’y a pas d’atteinte particulière aux droits de la défense, puisque nous disposons exactement des mêmes moyens qu’au Palais de justice », estime le bâtonnier, Henri Gerphagnon.
La création de ces « annexes judiciaires » avait été décidée par la majorité précédente en 2010, mais elle n’a pas été annulée par la gauche. Le gouvernement évoque en premier lieu des raisons financières. La garde des sceaux Christiane Taubira, dans une lettre datée du 18 juillet, précise que le ministère de la justice s’était engagé « à utiliser ces locaux faute de quoi il devrait rembourser l’intégralité des travaux avoisinant les 2,7 millions d’euros ».
Les autorités judiciaires soulignent en outre que réaliser les audiences dans les locaux neufs, à proximité du centre où les sans-papiers sont retenus, améliorera « les conditions humaines de traitement », en évitant que les personnes mises en cause soient à plusieurs reprises transportées jusqu’au palais de justice.
« le lieu où l’on rend la justice n’est pas anodin »
Toutefois, la ministre concède que « le lieu où l’on rend la justice n’est pas anodin ». Aussi laisse-t-elle la porte ouverte à un retour en arrière. « J’ai demandé aux chefs de la cour d’appel de Paris de vous recevoir dans les plus brefs délais afin de vous apporter des éléments de réponse à la situation actuelle et d’entendre vos observations », répond-elle dans cette même lettre. Le ministère de l’intérieur, favorable au projet, fait de son côté valoir que ces salles d’audience permettront d’éviter le coût des navettes et des escortes policières.
Les avocats engagés dans la défense du droit des étrangers menacent d’engager des recours contentieux. Des annexes judiciaires comparables avaient été créées à Toulouse et à Marseille dans les années 2000 avant d’être invalidées en cassation, notamment parce que les conditions d’accès du public n’étaient pas conformes aux normes en vigueur. Aujourd’hui, seul le site du centre de rétention de Coquelles, près de Sangatte (Pas-de-Calais), est maintenu. Ces lieux, dénoncent leurs détracteurs, auraient un effet sur les décisions rendues. Un rapport réalisé en 2007 par la Cimade et la LDH, sur la salle de Toulouse, montrait que les audiences sans public avaient sensiblement augmenté, et que les décisions de libération de migrants avaient chuté de 6,25 à 2,4 %.
Le gouvernement n’a pas encore précisé les contours qu’il entend donner à sa politique sur le régime de la rétention, notamment sur la procédure judiciaire à suivre dans le cas d’une mesure d’éloignement. Un projet de loi global sur l’immigration devait initialement être présenté en conseil des ministres avant cet été. Finalement, son examen a de fortes chances d’être repoussé après les élections municipales de mars 2014.
Plus de 50 000 étrangers placés en rétention en 2011
En 2011, en France métropolitaine, la justice a ordonné 17 000 éloignements parmi les 51 385 ressortissants étrangers en situation irrégulière placés en rétention. 36 % des personnes jugées ont été libérées, souvent parce que leur identité n’a pas pu être établie ou que leurs consulats ont refusé de délivrer dans les délais les laissez-passer nécessaires.
En outre-mer, 9 000 éloignements ont été opérés depuis la Guyane, et plus de 20 000 depuis Mayotte sur cette même période.
Avec 2 315 personnes enfermées en 2011, le centre de rétention du Mesnil-Amelot est le plus grand de France sur 27 structures existantes. Sur cette période, 28 % d’entre elles ont été expulsées.
Le coût d’une procédure d’éloignement est estimé à 10 000 € par personne, hors frais en préfecture et dans les tribunaux.
La police aux frontières a refusé l’entrée sur le territoire français à 11 945 étrangers en 2011. Parmi eux, 8 541 ont été placés en « zone d’attente », dont près de 80 % à Roissy.