Ça ressemble à une mauvaise blague. Hier, le président du groupe RPR à l’Assemblée, Michel Péricard, réclamait une commission d’enquête sur l’entrée et le séjour des étrangers en France, s’interrogeant sur «l’ampleur et l’origine des dysfonctionnements actuels». Presque au même moment, et comme pour lui donner raison mais sûrement pas dans le sens où il l’entend, un grave «dysfonctionnement» avait justement lieu en rade de Brest, où malgré la décision d’un magistrat, la préfecture réembarquait un Tanzanien sur le Mimoza, un cargo battant pavillon des Bahamas et filant sur le golfe Arabo-Persique puis vers l’Afrique du Sud. Le bras de fer entre les avocats et l’administration avait débuté avec l’arrivée le 6 juillet dernier de deux passagers clandestins, dont le Tanzanien Ali Saidi.
Il y a un an tout juste, le même Mimoza avait d’ailleurs déjà été au centre d’une polémique. C’est à son bord qu’avait voyagé jusqu’à Brest un orphelin mozambicain de 14 ans, Zito, fuyant la guerre, qui avait été autorisé à rester en France après des semaines de feuilleton juridique. Le jeune homme avait été gardé à bord jour et nuit par une soixantaine de policiers qui l’empêchaient de descendre afin qu’il ne puisse être considéré comme ayant pénétré sur le territoire français. Son histoire avait déclenché une vague d’émotion et une grosse colère de Charles Pasqua après son admission en France ordonnée par un juge. Du coup, le ministre de l’Intérieur en avait conçu une nouvelle loi votée en décembre 1994 et créant des zones d’attente ces lieux où les demandeurs d’asile peuvent former leur demande, recevoir la visite d’avocats en attendant qu’on statue sur leur sort dans les ports et les gares.
Comme pour Zito, donc, la saga a recommencé il y a quelques jours. L’un des deux nouveaux passagers clandestins du Mimoza s’étant enfui, l’autre Saidi est consigné à bord sous bonne garde. Au point qu’un officier de police judiciaire s’en émeut auprès de ses supérieurs. «Des policiers sont mobilisés pour une tâche qui ne correspond pas à leur mission»Bien entendu, la cargo doit être surveillé «en continu, jour et nuit, jusqu’à son départ». Bref, la garde du Mimoza se poursuit jusqu’au 11 juillet, date à laquelle Mes Stéphane Maugendre et Simon Foreman, avocats de l’Anafe, prévenus de la situation, assignent en référé le ministère de l’Intérieur pour «voies de fait» au motif que Saidi est retenu contre son gré à bord du Mimoza et non placé en zone d’attente comme l’exige la loi. A 12h30, l’assignation est délivrée, déclenchant aussitôt, à 14 heures, le décret de création d’une zone d’attente dans les locaux de la chambre de commerce où Saidi est conduit à 15 heures. Le feuilleton continue avec l’audience de référé qui s’est pousuivie tard dans la nuit de mardi devant le tribunal de grande instance de Paris. Au final, le président Jean-Jacques Gomez a constaté que la voie de fait avait cessé, Saidi ayant été transféré en zone d’attente. Mais devant l’intention signalée des autorités de le remettre à bord du Mimoza pour le renvoyer Dieu sait où, le président prévient: «Un tel refoulement pourrait avoir de graves conséquences pour l’intéressé, invitons monsieur le ministre de l’Intérieur à prendre les mesures de nature à assurer la sécurité physique et morale du demandeur.» Son invite n’a été suivie d’autre effet que l’appareillage du Mimoza avec Saidi à son bord sur ordre des autorités françaises. Depuis, les avocats ne décolèrent pas et cherchent la contre-attaque. Personne n’a de nouvelles d’Ali Saidi et nul ne sait l’accueil que lui réservent les pays du Golfe, ni l’Afrique du Sud. Reste ses quelques phrases malhabilement griffonnées en anglais le 10 juillet: «Je m’appelle Saidi, né le 22 janvier 1973, je suis tanzanien, je demande un avocat et l’asile à la France.» Sans doute de façon trop informelle puisque la préfecture du Finistère assure n’en avoir jamais eu connaissance.