Plusieurs affaires judiciaires récentes, opposant en particulier des demandeurs d’asile haïtiens à l’administration française, illustrent l’ambiguïté de la « zone internationale » que le gouvernement souhaite légaliser dans les aéroports parisiens. Cette disposition est prévue dans l’amendement qui doit être examiné, mardi 21 janvier, par la commission mixte paritaire réunissant députés et sénateurs (le Monde du 18 janvier).
M. D., chauffeur de « tap tap», le taxi collectif de Port-au-Prince, ne retournera pas en Haïti. La qualité de réfugié politique lui a été reconnue par la France, le 31 décembre dernier, dans un délai record. Quelques jours après le coup d’État qui a renversé, en septembre dernier, le Père Aristide, le jeune frère de M. D., qui conduit son taxi, est frappé à mort par des «tontons macoutes» qui refusent de le paver.
M. D. ose porter plainte. La même mésaventure lui arrive trois jours plus tard, mais il parvient à s’enfuir. II décide alors de se réfugier en France, d’où des parents lui envoient l’argent du billet. Arrivé à Roissy, le 4 décembre dernier, par un vol de la Swissair, il se voit passer les menottes à sa descente d’avion et est maintenu deux jours durant dans une salle de l’aéroport.
M. D. ne sait toujours pas qui était l’homme – probablement un agent de l’Office de protection des réfugiés, l’OFPRA – qui lui a suggéré de formuler une demande d’asile. Il est finalement reçu par un policier auquel il demande l’asile en France. Il est ensuite conduit à l’hôtel Arcade, dont deux étages, loués à l’année par le ministère de
l’intérieur, sont considérés par la police comme « zone internationale», et où la législation française ne s’applique pas.
«Séquestration arbitraire»
Le prochain avion pour Port-au- Prince quitte Paris quatre jours plus tard, et M. D. n’a toujours pas pu formuler sa demande d’asile sous procès-verbal, seule forme valable, inquiet, il téléphone à sa famille qui prend contact avec un avocat. Ce n’est qu’après une intervention, auprès du cabinet du ministère de l’intérieur, du GISTI, groupe de juristes militants en faveur des immigrés, que le Haïtien finit par être entendu, le 9 décembre, par un agent de la police de l’air et des frontières qui dresse procès-verbal.
Ce document enregistre la demande d’asile cinq jours après l’arrivée de M. D., mais envisage son «réacheminement» par le prochain avion d’Air-France pour Haïti. Le ministère de l’intérieur, après avis favorable du Quai d’Orsay, admet finalement le chauffeur de taxi sur le territoire le 11 décembre. Le lendemain, soit une semaine après son arrivée à Roissy, M. D. sort libre de l’hôtel Arcade.
J. L., un autre Haïtien passé dans la clandestinité après l’arrestation de ses parents, a vécu une aventure comparable à Roissy où il débarque le 6 novembre dernier. La police lui refuse l’entrée sur le territoire et le maintien en «zone internationale» en l’informant qu’il sera mis dans le prochain avion pour Port-au-Prince.
Se croyant en possession de tous les papiers nécessaires pour entrer en France, il n’a pas formulé de demande d’asile. Mais un avocat, M° Christian Bourguet, alerté par sa famille, formalise la demande. L’homme de loi va plus loin : il saisit en référé le tribunal de grande instance de Paris qui, le 22 novembre, rend une ordonnance sans précèdent.
Les juges autorisent J. L. à assigner le ministère de l’intérieur pour «séquestration arbitraire », alors même que le ministère, alarmé par le référé, a fini par l’admettre sur le territoire. L’audience, fixée au 26 février prochain, permettra de statuer sur le cas similaire de quatre autres demandeurs d’asile, trois Haïtiens et une Zaïroise, arrivés à Roissy le 19 novembre, dont les avocats, Mes Maugendre et Foreman, ont également été autorisés à poursuivre le ministère de l’intérieur.
La crainte de jugements défavorables dans de telles affaires est le principal argument avancé par le ministère de l’intérieur pour justifier son empressement à faire adopter l’amendement légalisant la «zone internationale» sous le nom de «zone de transit». En effet, le gouvernement estime qu’une décision de justice condamnant le ministère de l’intérieur sonnerait le glas des contrôles aux frontières. Mais les avocats des demandeurs d’asile affirment que la «zone internationale» n’est qu’une fiction policière. Celle-ci aurait été inventée pour empêcher l’application de la loi française qui permet de placer en rétention un étranger non admis sur le territoire, mais oblige la police à saisir un juge au-delà vingt-quatre heures. La question concerne les 10 000 voyageurs chaque année, sont bloqués à la douane dans les aéroports, faute de papiers en règle.
Moins de I % d’entre eux font l’objet d’une mesure légale de rétention administrative, tandis que d’autres séjournent, plus ou moins longuement, dans la fameuse «zone internationale ». Les demandes d’asile formulées dans les aéroports constituent d’ailleurs une part infime du total de celles qui sont enregistrées sur le territoire (86 pour 50000 demandes en 1991). La majorité des demandeurs à la frontière sont admis sur le territoire, selon les statistiques du ministère de l’intérieur. Celui-ci précise que les soixante demandeurs d’asile haïtiens enregistrés à Roissy depuis le renversement du Père Aristide ont tous été admis sur le territoire. Mais qui sait combien n’ont pu faire authentifier leur demande?
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