Louise FESSARD, 3/01/2015
La justice française mène une guerre d’usure dans l’enquête sur la mort d’Ali Ziri, 69 ans, décédé par asphyxie le 11 juin 2009, deux jours après son interpellation par la police à Argenteuil. La cour d’appel de Rennes vient de confirmer ce 12 décembre 2014 le non-lieu prononcé le 15 octobre 2012 par un juge d’instruction.
La justice française semble déployer une énorme énergie à empêcher toute enquête sérieuse sur la mort d’Ali Ziri, 69 ans. Ce retraité algérien était décédé par asphyxie le 11 juin 2009, deux jours après son interpellation par la police à Argenteuil. La chambre de l’instruction de la cour d’appel de Rennes vient de confirmer le non-lieu prononcé le 15 octobre 2012 par un juge d’instruction. « La chambre de l’instruction a considéré, contre l’avis du parquet général de Rennes, qu’il n’y avait pas lieu à procéder aux actes complémentaires d’instruction (notamment une reconstitution) demandés par l’un des avocats des parties civiles », indique le procureur général dans un communiqué daté du 12 décembre 2014. Ces demandes étaient pourtant élémentaires : la famille voulait une reconstitution, ainsi que l’accès aux bandes de vidéosurveillance montrant l’arrivée d’Ali Ziri au commissariat.
Les proches d’Ali Ziri avaient attaqué le premier non-lieu du juge d’instruction devant la cour d’appel de Versailles, qui l’avait confirmé. Puis ils avaient porté l’affaire devant la Cour de cassation qui, le 18 février 2014, leur avait pour la première fois donné raison. La chambre criminelle de la Cour de cassation avait estimé que les juges auraient dû « rechercher si les contraintes exercées » sur le retraité algérien « n’avaient pas été excessives au regard du comportement de l’intéressé » et « si l’assistance fournie (par les policiers, ndlr) avait été appropriée ». Elle avait dépaysé l’affaire devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Rennes. Laquelle vient donc de confirmer à nouveau le non-lieu, contrairement aux réquisitions de l’avocat général (équivalent du procureur) qui, lors de l’audience du 19 novembre, avait demandé un supplément d’enquête. Pas découragé par cette guerre d’usure, Me Stéphane Maugendre indique vouloir à nouveau se pourvoir en cassation.
Arrêté le 9 juin 2009 avec un ami lors d’un contrôle routier, Ali Ziri avait été transporté inconscient à l’hôpital une heure et demie après son arrivée au commissariat. Il y était décédé deux jours plus tard. Les deux hommes, de 69 ans et 61 ans, étaient fortement alcoolisés. Ali Ziri était revenu passer quelques jours en France pour effectuer des achats avant le mariage de son fils et les deux amis avaient descendu plusieurs verres dans l’après-midi.
Alors qu’un premier cardiologue avait pointé une bien commode « cardiomyopathie méconnue », deux expertises ont ensuite mis en cause la technique dite du pliage. Cette dernière est formellement interdite depuis la mort en janvier 2003 d’un Éthiopien expulsé par la police aux frontières (PAF). Ce jeune homme de 23 ans était décédé d’avoir passé vingt minutes maintenu de force le torse plié, la tête touchant les cuisses, et menotté dans un siège d’avion à la ceinture serrée.
Les policiers d’Argenteuil, trois jeunes gardiens de la paix, ont reconnu l’avoir utilisée pour maintenir le vieil homme durant le trajet vers le commissariat. Ils n’ont pourtant jamais été inquiétés sur ce point, et ce n’est pas la cour d’appel de Rennes qui leur cherchera noise. « Les derniers experts ont émis l’hypothèse que la méthode de contention utilisée par les policiers pour immobiliser Ali Ziri dans le véhicule de police, consistant à maintenir son buste penché sur ses genoux, était également intervenue dans le processus causal de la mort. La chambre de l’instruction a cependant considéré qu’en l’état des « conclusions et hypothèses divergentes (…), il n’est pas possible de retenir une cause certaine de la mort d’Ali Ziri » », balaie le communiqué du procureur général du 12 décembre 2014.
Dans son rapport de juillet 2009, l’ancienne directrice de l’institut médico-légal de Paris indiquait pourtant noir sur blanc qu’Ali Ziri était décédé « d’un arrêt cardio-circulatoire d’origine hypoxique par suffocation multifactorielle (appui postérieur dorsal, de la face et notion de vomissements) ». L’autopsie avait en effet montré une vingtaine d’hématomes sur le corps d’Ali Ziri, pouvant « correspondre à des lésions de maintien », ainsi que des signes d’asphyxie mécanique des poumons. Une troisième expertise du 15 avril 2011, demandée par le juge d’instruction, confirme que l’arrêt cardiaque constaté aux urgences est« secondaire à un trouble hypoxique en rapport avec les manœuvres d’immobilisation et les vomissements itératifs ».
Mais là encore, le communiqué du procureur général de Rennes explique que « la chambre de l’instruction a, en premier lieu, relevé que les expertises avaient établi que les hématomes constatés sur le corps d’Ali Ziri n’étaient pas à l’origine du décès, qui résulte de la conjugaison d’une pluralité de causes, parmi lesquelles une pathologie cardiaque préexistante et un état d’alcoolisation important. Ni la méthode utilisée par la police nationale pour extraire Ali Ziri du véhicule à l’arrivée au commissariat, ni son dépôt allongé à même le sol, menotté dans le dos, dans une salle d’audition, critiqués par la commission nationale de déontologie et de sécurité, ne sont la cause de son décès ».
Au vu du comportement des deux hommes accusés d’agir « dangereusement en crachant sur le conducteur ou en tentant de donner des coups de tête », la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Rennes considère que « les gestes d’immobilisation effectués durant quelques minutes par les policiers, dont l’attitude professionnelle, exempte de toute critique, est attestée par les témoins qui ont assisté à l’interpellation, ne constituaient pas une contrainte excessive. Les policiers n’ont ainsi fait usage que de la force strictement nécessaire pour les maîtriser et aucune faute, volontaire ou involontaire, ne peut être relevée à leur encontre ». Selon Le Monde, le ministère de l’intérieur avait tout de même prononcé cinq avertissements fin 2012 à l’égard des policiers.
L’ex-CNDS est la seule à avoir visionné les bandes de vidéosurveillance du commissariat, dont est extraite la capture d’écran ci-dessus. Elle décrivait la scène : « Ali Ziri est littéralement expulsé du véhicule (…), il est dans un premier temps jeté au sol puis saisi par les quatre membres, la tête pendante, sans réaction apparente, et emmené dans cette position jusqu’à l’intérieur du commissariat. » Pour Me Stéphane Maugendre, les images de l’extraction d’Ali Ziri montrent donc clairement qu’il « est arrivé quasiment inconscient au commissariat ».
À l’intérieur du commissariat, les deux hommes, toujours menottés et qui commencent à vomir par saccades, sont placés en position couchée (sur le ventre, sur le dos ou en position latérale de sécurité, selon des témoignages policiers divergents). Entre-temps, les policiers interpellateurs rédigent deux plaintes contre Arezki Kerfali et Ali Ziri (toujours à même le sol), respectivement pour outrage, et pour outrage et rébellion. Dans son avis de mai 2010, feu la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) avait dénoncé comme « inhumain et dégradant » le fait de les avoir laissés, lui et son ami interpellé en même temps,« allongés sur le sol du commissariat, mains menottées dans le dos, dans leur vomi, à la vue de tous les fonctionnaires de police présents qui ont constaté leur situation de détresse, pendant environ une heure ». Mais pour la cour d’appel de Rennes, jusqu’ici tout va toujours bien.
Inutile également, aux yeux des magistrats rennais, d’entendre les témoins de l’interpellation qui auraient tous « souligné un comportement exemplaire des trois policiers interpellateurs face à deux hommes, certes âgés, mais insultants et agressifs » selon le communiqué du procureur général. Le 9 juin 2009, au commissariat, un jeune homme en garde à vue dit pourtant avoir été témoin d’une scène choquante. « L’un des policiers est venu vers cet homme (Arezki Kerfali – ndlr) et il a posé son pied sur la tête du monsieur et lui a dit une phrase du genre « Tu vas essayer », il a fait bouger la tête en appuyant avec son pied comme on pourrait le faire avec une serpillière, explique-t-il, entendu par l’IGPN le 11 décembre 2009. C’est comme s’il voulait lui faire essuyer son vomi avec sa tête. » Aucun des policiers n’a été questionné sur cette grave allégation.
Résumons : malgré les multiples demandes de la famille, les trois juges d’instruction qui se sont succédé sur ce dossier n’ont jamais auditionné les policiers concernés. Ils n’ont pas entendu les témoins présents ce soir-là au commissariat. Ils n’ont réalisé aucune reconstitution. Ils n’ont pas non plus jugé utile de visionner la bande des caméras de la cour du commissariat. C’est donc la façon normale, selon les magistrats de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Rennes, dont une interpellation puis une enquête sur les violences policières doivent être menées en France. Qu’en pense Christiane Taubira, qui s’était indignée sur Twitter de la décision du grand jury étasunien de ne pas poursuivre le policier qui a tué de six balles Michael Brown à Ferguson ?