« En rétention, l’explosion était inéluctable »

Accueil, Entretien réalisé par Alexandre Fache, 24/06/ 2008

Pour l’avocat Stéphane Maugendre, nouveau président du GISTI, c’est la politique d’expulsions massives du gouvernement qui est à l’origine de l’incendie de Vincennes. Avocat au barreau de la Seine-Saint-Denis, Stéphane Maugendre, quarante-sept ans, a succédé, le 17 mai dernier, à Nathalie Ferré à la présidence du Groupe d’information et de soutien aux immigrés.
Comment réagissez-vous à la destruction du centre de Vincennes ?
Stéphane Maugendre. Il ne faut pas s’étonner que ce genre de choses arrive. Les retenus sont de plus en plus nombreux, et leur durée de rétention ne cesse de s’allonger. La politique gouvernementale dans ce domaine est tout entière consacrée à un seul objectif : faire du chiffre, ce que les policiers eux-mêmes confirment et parfois regrettent. Les centres sont surchargés, ils accueillent des gens de plus en plus désespérés, dans des conditions de « cohabitation » avec les services de police très tendues, ce qui ne va pas sans certaines exactions, répertoriées par les rapports de la CIMADE, du commissaire aux Droits de l’homme du Conseil de l’Europe ou encore des parlementaires qui se rendent à l’intérieur de ces centres. L’explosion était donc inéluctable. Le décès de ce retenu tunisien, dans des conditions qui restent à préciser, a été l’élément déclencheur.
La situation était particulièrement difficile à Vincennes…
Stéphane Maugendre. Tous les témoignages évoquaient en effet dans ce centre des conditions indignes de la République. D’autant que la rétention, théoriquement, ce n’est pas la prison. Les retenus sont censés être accueillis dans des conditions « hôtelières ». On en était loin ! Et cela ne va pas s’améliorer : l’Europe vient d’adopter la fameuse directive retour, qui permet de prolonger une rétention jusqu’à dix-huit mois, et ce avec femmes et enfants. Nous sommes face à une spirale délirante qui ne fera qu’augmenter l’occurrence de ce genre de drame. Pour les éviter, une seule solution : fermer tous ces centres.
Le gouvernement ne semble pas aller dans ce sens, le ministre se félicitant de la hausse spectaculaire des expulsions…
Stéphane Maugendre. Cette politique de reconduites massives à la frontière est totalement illusoire. Si aujourd’hui, hypothèse d’école, l’immigration clandestine s’arrêtait totalement, plus de dix ans seraient nécessaires pour reconduire toutes les personnes en situation irrégulière. On cultive donc une gigantesque illusion. D’autant que les arrivées illégales sur le territoire se poursuivront, que ce soit pour des raisons climatiques, politiques ou économiques.
Voilà vingt ans que vous exercez en tant qu’avocat, auprès des sans-papiers. Que peut le droit face à cette politique ?
Stéphane Maugendre. Tous les jours, nous essayons, avec d’autres avocats, de trouver des failles dans les procédures, de mettre en avant de nouveaux instruments pour que le droit des gens soit respecté au mieux. Mais, c’est vrai, la législation ne cesse de se durcir. Les conditions pour prendre un arrêté de reconduite à la frontière s’élargissent, la période de rétention administrative s’allonge, les accords dits « de réadmission », qui raccourcissent les délais et compliquent les possibilités de recours, ne facilitent pas les remises en liberté… C’est un combat permanent, duquel on ne sort pas toujours vainqueur.
Un dernier mot : l’UMP menace de poursuites le collectif RESF, l’accusant d’être en partie responsable de l’incendie du centre de Vincennes…
Stéphane Maugendre. Ces propos sont totalement irresponsables. Les associations, RESF ou d’autres, sont là pour défendre les gens, au quotidien, elles ne les poussent en aucune manière à mettre le feu aux centres de rétention, aussi inhumains soient-ils. La responsabilité d’un événement comme celui de ce week-end, de ce geste de désespoir, est d’abord et avant tout celle du gouvernement, qui a fait de l’expulsion le leitmotiv de sa politique d’immigration.