Emilie Rive, 01/04/1998
Un nouveau départ de trois sans-papiers maliens est annoncé aujourd’hui pour Bamako, mais les douze qui comparaissaient hier après-midi à Bobigny ont été relâchés en attendant leur jugement, en mai et juin prochains. Le ministre de l’Intérieur veut entamer des poursuites contre les militants et les passagers qui ont empêché les « éloignements » du territoire.
CE matin, à 11 heures, Dialla Kanouté, Malle Cimaga et Moukantafé Kanté doivent être réembarqués à Roissy, à la suite du jugement rendu samedi par le tribunal correctionnel de Bobigny, où ils n’avaient pas d’avocat, même commis d’office. Depuis mercredi, ils sont incarcérés au sous-sol aveugle du commissariat de la ville, devenu centre de rétention, en face des détenus de droit commun, sans linge de rechange ni produits de toilette… Ce jour-là, les passagers avaient empêché l’expulsion de ces Maliens arrêtés lors de l’évacuation par les forces de police de l’église Saint-Jean-de-Montmartre. Parmi eux, un jeune homme de vingt-cinq ans, dont les parents sont morts et la seule famille, un cousin, réside à Montreuil (Seine-Saint-Denis).
Ce même tribunal a décidé, hier soir, le report de l’audience de douze autres Maliens, eux aussi arrêtés à Saint-Jean, installés de force dans l’A320 d’Air Afrique pour Bamako et réincarcérés à Bobigny après l’intervention des passagers outrés. Mais, pour la première fois, le report octroyé pour préparer la défense sur la forme et le fond est assorti d’une remise en liberté. Le procès aura lieu les 18 mai et 15 juin, après la date butoir d’application de la circulaire Chevènement sur la régularisation des sans-papiers (30 avril). Selon leur avocat, Me Stéphane Maugendre, des faits troublants ont été évoqués lors de l’audience. De tous les témoignages directs ou indirects, il ressort que ce sont bien les passagers qui ont protesté sur les conditions indignes dans lesquelles allait s’effectuer le voyage: assis à l’arrière de l’avion, cachés derrière un rideau, menottés, ceinturés par une ficelle de la poitrine aux chevilles, encadrés par 23 policiers qui entreprenaient de leur mettre des bâillons, les expulsés criaient de peur d’être étouffés. L’interrogatoire du procureur de la République a établi que tous avaient accepté de partir.
Or un rapport du commissaire de la 12e section des renseignements généraux de Paris insiste au contraire sur des incitations à la révolte, « des coups portés avec le corps », des insultes, des menaces. Tout comme il fait état d’un refus de quitter l’église, le 18 mars, malgré les sommations, quand tous les observateurs avaient noté le calme absolu dans lequel s’étaient déroulés les événements. En outre, ce commissaire stigmatise des actes de « rébellion généralisée » de « groupuscules d’extrême gauche » dans l’aérogare, alors que les quelques personnes présentes distribuaient des tracts aux voyageurs. La version du commissaire fait bonne mesure avec les contrôles d’identité systématiques des militants des associations, et aussi avec un volet du projet de loi Chevènement sur l’immigration, qui prévoit de restreindre les organisations autorisées à s’intéresser au problème…
Le soutien aux sans-papiers
Hier, à l’Assemblée nationale, le ministre s’en est pris à « l’incivisme fondamental » de « fauteurs de troubles », membres selon lui d’une « organisation trotskiste d’origine britannique ». Il a ajouté: « Ceux qui les soutiennent contribuent à bafouer les lois, à la perte de repères dont la République a besoin pour faire front contre l’extrême droite. » Selon lui, des délits ont été commis « pas seulement par les distributeurs de tracts, mais par un certain nombre de passagers… » Devant la contestation de certaines expulsions et des méthodes employées, le ministre est allé jusqu’à souhaiter l’inscription de ces personnes au fichier de l’espace de Schengen et l’interdiction de séjour dans les autres pays de l’espace…
La solidarité en tout cas avec les sans-papiers menacés d’expulsion ne se dément pas. Aujourd’hui, Albert Jacquard, généticien des populations et militant des causes humanitaires, sera, à midi quinze, à la cathédrale d’Evry pour apporter son soutien aux sans-papiers de l’Essonne. A l’église Saint-Paul de Nanterre, c’est Jacqueline Fraysse, député-maire communiste de la ville, qui a annoncé qu’elle procéderait à un nouveau parrainage de sans-papiers, le 8 avril prochain.