Des proxénètes recrutaient des adolescentes africaines à la sortie du tribunal de Bobigny

index Alexandre Garcia, 12/02/2003

Le tribunal de grande instance (TGI) de Bobigny (Seine-Saint-Denis) a-t-il servi de plaque tournante à un réseau international de proxénétisme ? La rumeur a longtemps circulé mais elle s’est transformée en scandale quand le Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti) a déposé une plainte en mars 2001.

De janvier 2000 à juin 2001, une cinquantaine d’adolescentes africaines ont bien disparu quelques jours après leur passage au palais de justice, a confirmé, lundi 10 février, Françoise Bouthier-Vergez, présidente de la 13e chambre du tribunal correctionnel de Bobigny, où sont jugées 10 personnes accusées de proxénétisme aggravé. Alors que la police constatait dans le même temps « un fort accroissement de la prostitution de jeunes Sierra-Léonaises sur le trottoir parisien », ces prévenus auraient mis la main sur des mineures sans papiers à leur sortie des audiences consacrées aux étrangers arrivés en France en situation irrégulière.

Dans sa plainte, le Gisti avait relaté la manière dont des « rabatteurs » africains assis dans les rangs du public profitaient des audiences pour entrer en contact avec ces jeunes femmes à qui ils proposaient un logement le temps de régler leurs problèmes administratifs. Ce mode de recrutement, qui, selon le Gisti, semblait connu de « l’ensemble du monde judiciaire de la Seine-Saint-Denis », a été détaillé au cours de l’instruction par trois prostituées, dont deux étaient passées par le tribunal. Régulièrement battues et menacées de mort, Grace, Queen et Victoria avaient été recrutées en Afrique puis prises en charge à leur arrivée en France par le réseau auquel elles devaient chacune rembourser 50 000 dollars (46 640 euros). Les trois femmes ont donné les noms de leurs souteneurs. A la tête de l’organisation, Edith Erhunmwunse, une Nigériane de 25 ans qui a réussi à prendre la fuite.

Le couple qui hébergeait les jeunes femmes a été interpellé en novembre 2001, avec d’autres membres de la filière. A l’audience, Herod et Joyce Opoku ont expliqué qu’ils n’ont fait qu’héberger pendant six mois trois filles « qui ne savaient pas où dormir » en leur demandant « 400 ou 500 francs pour l’électricité ». Interrogé sur sa fréquentation des éducateurs de l’aide sociale à l’enfance, Aron Kodua, l’ex-compagnon d’Edith, emprisonné depuis un an, a expliqué avoir voulu « rendre service » en accompagnant deux mineures sierra-léonaises à la gare, « qui ne sont jamais arrivées à leur foyer d’accueil », relevait la présidente. En 18 mois, 50 autres mineures ont fugué ainsi, « sans laisser aucune trace », a-t-elle soupiré.

Enquêtes inabouties, failles du système judiciaire, complicités éventuelles ? Aucune piste ne permet de trouver ailleurs que dans le réseau les causes d’une aussi longue série de disparitions. Tout juste est-il mentionné, dans un procès verbal, que les recrues d’Edith étaient prévenues à l’avance de l’aide qui leur serait apportée par un avocat au tribunal. « Je ne me souviens pas de son nom, mais si cet avocat est arrêté, Edith en trouvera un autre parce qu’elle a beaucoup d’argent », avait expliqué Victoria aux enquêteurs.

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