La réforme de la double peine mal appliquée

16/09/2004

BEAUCOUP de « lenteur », de « non-réponses » et un désarroi palpable. Près d’un an après l’adoption de la réforme de la double peine, inscrite dans la loi Sarkozy sur l’immigration de novembre 2003, militants associatifs et avocats réunis hier à l’Assemblée nationale à l’invitation du député UMP Etienne Pinte et à l’occasion de la projection d’un documentaire* ont fait part de leurs inquiétudes.

L’application de ce texte revendiquée pour des milliers d’étrangers condamnés par la justice et menacés d’une expulsion se heurte à une foule d’obstacles. Pour tous ceux qui entraient dans les quatre « catégories protégées » créées par la nouvelle loi, l’espoir d’échapper à un retour dans leur pays d’origine était réel. En pratique, très peu ont obtenu gain de cause.

Et les exemples affluent. Me Alain Mikovski, qui défend une centaine de dossiers, n’en a vu qu’un seul « réglé en huit jours ». « On a le sentiment que les préfectures et les tribunaux jouent la montre ! » s’indigne-t-il.

Cinéaste militant, engagé auprès de Bouda, un danseur hip-hop de Seine-Saint-Denis dont il avait fait le symbole des double peine, Jean-Pierre Thorn s’étonne : « Sarkozy avait vu le film, il avait promis… Depuis, rien n’a bougé. Bouda est toujours assigné à résidence ! » Me Stéphane Maugendre relève pour sa part que le faible nombre de cas résolus « est à la hauteur de ce que le texte est ». A ses yeux : « un acte manqué ». « On arrive à en sauver quelques-uns, mais la grande majorité ne rentre pas dans les catégories, déplore-t-il. Or ces personnes peuvent être interpellées à n’importe quel moment, et elles le sont. »

« Une interprétation trop tatillonne»

Infatigable défenseur de cette cause, le parlementaire Etienne Pinte, qui « parraine » près de 300 dossiers, dont la moitié « restent à ce jour sans réponse », se fait plus précis. Outre « la lenteur du traitement », en particulier « pour les relèvements d’interdiction du territoire auprès des tribunaux », il regrette « une interprétation trop tatillonne de la loi ». « Ces personnes sont privées du droit au travail, nombre d’entre elles sont en grande précarité… Quelle solution pour celui qui se voit exclu du bénéfice de la réforme parce qu’il est arrivé en France à 13 ans et demi au lieu de 13 ? » interroge-t-il. Après « un point » avec le ministère de l’Intérieur lundi dernier, le député s’apprête à solliciter le ministère de la Justice sur le sujet. « Des décisions prises par les juges vont à l’encontre de la lettre mais aussi de l’esprit de la loi », souligne-t-il.

Du côté des associations, certains s’étonnent aussi du faible nombre de dossiers dont ils ont été saisis jusque-là. Complexité du texte ? Manque d’information ? Toujours est-il que le terme du délai fixé pour ceux qui souhaitent solliciter l’abrogation d’un arrêté d’expulsion ou d’une peine d’interdiction du territoire français (ITF) les concernant approche. « La date fatidique est le 31 décembre prochain », souligne Etienne Pinte.

D’ores et déjà décidé à solliciter « un moratoire » sur ce délai, il a appelé à la création d’un « comité de suivi de la réforme » qui devrait être mis en place très prochainement.

* « Des exceptions à l’absolu », Florence Miettaux, JFR production 2004.

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