A force de côtoyer les artistes de la culture hip-hop, le réalisateur Jean-Pierre Thorn a fini par acquérir leur sens de la formule. Son premier documentaire sur le sujet, Faire kiffer les anges montrait la passion des gosses de banlieue pour la danse hip-hop. Pour On n’est pas des marques de vélo !, Thorn reprend une expression de Bouda qui, au début du film, explique à la caméra qu’il n’a jamais été un grand bandit, juste «une petite marque de vélo». Sur une passerelle qui enjambe des lignes de chemin de fer, Bouda, le danseur en doudoune et bonnet, raconte Ahmed M’Hemdi, le délinquant-toxicomane «pour qui taper des baskets était moins grave que de voler des postes», mais qui après avoir payé sa dette à la société, se voit interdit de territoire français, ce sol qu’il a si souvent embrassé en exécutant une «coupole» (figure de breakdance). Le récit de la vie de Bouda-Ahmed, étayé des témoignages de sa famille, de lui-même ou de ses potes de quartier, sert de fil conducteur au documentaire d’une heure et demie, dénué de commentaire. Les archives photo et vidéo le montrent tout jeune à l’école, lors de la première réunion hip-hop à Aulnay-sous-Bois à 12 ans… Pour Kool Shen de NTM, Bouda c’était «la mascotte», pour ses instituteurs «un petit garçon qui roulait des mécaniques», pour sa sœur, «une future star». Chaque période de sa vie est rythmée par des chorégraphies de Farid Berki ou de son groupe Authentik’A. Devant une casse automobile, ses potes montrent les performances des breakers, Berki illustre avec un duo l’aliénation de la double peine, un danseur limitant les mouvements de l’autre. Des panneaux dessinés par le graffiti artiste, Noé, reprenant des citations de Bouda ou de ses proches, soulignent le propos : «Saloperie de Monoprix, qu’est-ce que t’as fait à ma vie ?» «Faut lui laisser une chance de vivre à ce gosse.» Le tout est touchant, beau, efficace pour démontrer l’absurdité de la double peine mais parfois trop parasité par le discours démago et paternaliste de certains intervenants. Bouda, qui joue le Gavroche durant tout le film, genre «Si je suis tombé par terre, c’est la faute à Voltaire», rectifie le tir au bout d’une heure : «On dit toujours, c’est pas de ma faute mais faut assumer. On est responsable de ses actes.» Puis l’œil brillant : «Elle est belle mon histoire, elle part juste en vrille au milieu.».