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Dans la salle, il se fond parmi les spectateurs, installe sa sœur à une bonne place, vole d’un ami à un autre. Puis, bonnet vissé sur la tête, il s’enfonce dans son fauteuil, avec un sourire aux lèvres qui semble impossible à effacer. Lundi dernier, on projetait au Forum des images On n’est pas des marques de vélo !, le film de Jean-Pierre Thorn dont Bouda est le héros. Devant l’écran, Michel Tubiana, président de la Ligue des droits de l’homme, lit au public une lettre du ministère de l’Intérieur, datée du 16 janvier. Il annonce que Bouda, danseur hip-hop, victime de la double peine, est finalement assigné à résidence, et ne sera pas expulsé. Des acclamations ferventes saluent la nouvelle. Etienne Pinte, député UMP pourfendeur de la double peine au sein de la majorité, applaudit lui aussi. Bouda se lève, et salue, les bras en l’air. «On ne va pas bouder notre plaisir, continue Michel Tubiana, mais Bouda n’est qu’un arbre dans une forêt : il y a des milliers de personnes dans sa situation qui attendent.»
Né en Tunisie, il y a trente ans sous le nom d’Ahmed M’Hemdi, il s’est fait connaître sous celui de Bouda (Libération du 23 janvier) et a grandi à Dugny (Seine-Saint-Denis). Il est bébé quand il arrive en France, pour rejoindre avec ses frères et sœurs un père installé ici dans les années 50, et aujourd’hui français. Dès l’âge de 12 ans, il danse. Il n’aime pas l’école. N’y va pas. «C’était une perte de temps.» Préfère les contorsions et les assouplissements. Dans les années 80, il est souvent sur les plateaux de l’émission de Sidney H.I.P. H.O.P, qui fait découvrir la breakdance au grand public.
Il fume des joints, deale. Se fait prendre et condamner plusieurs fois. En 1994, il écope de quatre ans d’emprisonnement et de cinq ans d’interdiction du territoire français. «Il a le casier type du toxico», estime son avocat, Me Stéphane Maugendre. Le 13 janvier 1997, à sa sortie de prison, il est expulsé vers sa Tunisie natale où il passe près de neuf mois avant de craquer et de rejoindre clandestinement la France. Il reste isolé quelque temps avant de renouer avec la danse et le milieu hip-hop. Il retrouve la scène, lors de concerts de NTM ou du Secteur Ä, jusqu’à se faire repérer par Jean-Pierre Thorn, en quête de danseurs pour une comédie musicale. Mais, alors que les cinq ans d’interdiction du territoire se sont écoulés, Bouda est toujours sous le coup d’une expulsion, confirmée par un arrêté ministériel. Jean-Pierre Thorn se démène, quelques figures du hip-hop se mobilisent comme Kool Shen, cofondateur de NTM avec Joey Starr, qui en fait «une affaire personnelle», ou Sidney. Le maire vert du IIe arrondissement de Paris l’accueille pour une conférence de presse. Jack Lang écrit à Daniel Vaillant, installé place Beauvau.
Mais en 2001, le ministère de l’Intérieur considère que «son expulsion constitue toujours une nécessité impérieuse pour la sécurité publique». A l’automne dernier, au meeting contre la double peine au Zénith, Bouda, devenu un symbole, vient se montrer. A l’époque, en coulisse, à l’évocation d’une éventuelle assignation à résidence, il répondait : «Je ne crois que ce que je vois.».